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Interview de Boniface Twagirimana, vice-président du parti FDU-Inkingi

Interview de Boniface Twagirimana, vice-président du parti FDU-Inkingi

Les Rwandais sont appelés aux urnes le 4 août prochain, une présidentielle sans enjeu selon Boniface Twagirimana, vice-président du parti FDU-InkingiDans une interview accordée à Jambonews, Twagirimana affirme que cette élection est une mise en scène visant à permettre au président Paul Kagame, de facto au pouvoir depuis 1994, de se maintenir aux affaires à vie. Il se demande pourquoi Kagame refuse d’affronter de véritable opposant en empêchant les partis d’opposition de participer au scrutin présidentiel de cette année, alors même qu’il continue de clamer haut et fort que les Rwandais ont sollicité son maintien au pouvoir à 97% lors d’un referendum qui lui a permis de changer la constitution et ainsi de briguer un troisième mandat.

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Jambonews: Comment le parti FDU-Inkingi se porte-t-il au Rwanda en cette période préélectorale, surtout quand on connaît les problèmes que vous avez rencontrés ces derniers temps ?

Boniface Twagirimana, 1er Vice-Président du Parti FDU-Inkingi

Boniface Twagirimana, 1er Vice-Président du Parti FDU-Inkingi


Boniface Twagirimana: Je tiens d’abord à rappeler à ceux qui ne le savent pas que nous avons commencé nos activités au Rwanda en 2010. Nous voulions nous positionner comme nouveau parti politique d’opposition, le seul véritable parti d’opposition parce que d’autres partis qui existaient à ce moment, se prétendant d’opposition, n’étaient en réalité que des partis satellitaires du FPR, qui ne faisaient et ne disaient rien sur les préoccupations de la population. C’est même pour cela qu’au début on a rencontré pas mal des soucis, et c’est notamment dans ce cadre que notre dirigeante madame Victoire Ingabire a été incarcérée. A ce moment-là, le régime s’était engagé à combattre vivement toute personne refusant de travailler sous sa tutelle, et notre parti a donc fait les frais de cette politique tout au long des années qui ont suivi.
Un nombre incalculable de nos membres a été emprisonné, et d’autres ont disparu. Malgré cela nous tenons le coup parce que ce dont nous parlons aux Rwandais, nos revendications, ont plus de valeur que la peur d’y laisser nos vies ou d’être emprisonné. Ce qui nous motive à continuer est que nous avons beaucoup de sympathisants partout dans le pays. Vous pouvez suivre les informations sur nos différentes actions sur les forums, les réseaux sociaux, et les radios comme la VOA depuis l’interdiction de la BBC, ce que vous apprenez vient de nos structures politiques, même si le plus souvent nous sommes obligés de cacher l’identité de nos sympathisants pour leur sécurité.
C’est-à-dire que vous ne rencontrez jamais vos membres publiquement ?
Il n’est pas possible de rencontrer publiquement nos adhérents, car ils seraient accusés de tenir une réunion, arrêtés et incarcérés. Nous nous rencontrons clandestinement, et même de cette façon nous ne devons pas être plus de trois personnes à la fois, nous essayons de nous couvrir le plus possible pour qu’en cas d’arrestation, nous ne soyons pas accusés. Nous évitons le plus possible d’être accusés d’avoir tenu des réunions d’un parti non reconnu, et d’exposer nos sympathisants.
Vous militez toujours pour faire enregistrer votre parti, première étape pour qui veut participer aux élections présidentielles d’août prochain ? Car si l’on se rappelle bien, votre présidente Victoire Ingabire fut emprisonnée en 2010 alors que cette procédure était encore en cours ?
Faire enregistrer le parti et participer aux élections ne sont plus sur notre agenda immédiat parce que nous avons constaté que le régime de Kigali continue de nous mettre des bâtons dans les roues et n’acceptera jamais d’enregistrer un parti qui ne travaillera pas sous sa coupe. Les instances chargées d’enregistrer les partis politiques nous ont déjà fait comprendre qu’ils ne veulent pas nous enregistrer en tant que parti d’opposition. D’ailleurs, persister dans ce sens joue toujours contre nous, car ça permet au régime d’avoir des informations sur nos membres et de les pourchasser. Depuis qu’on a compris que le régime actuel n’accepte pas de voix concordante, nous nous sommes résignés à abandonner l’étape de reconnaissance officielle.
Mais bien que nous ne soyons pas reconnus, nous essayons de travailler comme un parti reconnu. Nous sommes à l’écoute des préoccupations de la population, et essayons de réfléchir en tant que parti politique sur les problématiques qui se présentent. Aujourd’hui nous travaillons donc la clandestinité même mais nous respectons les lois du pays. Mais nous devons continuer car celui qui te confisque tes droits ne va pas subitement se décider à te les restituer volontairement. Nous essayons de travailler, de parler des problèmes qui sont là, de montrer que nous existons malgré qu’on nous refuse de nous enregistrer. Nous continuons notre lutte, que nous soyons reconnus ou pas, jusqu’à ce qu’ils finissent par comprendre que nous existons et que nous ne céderons pas quoi qu’il arrive.
Quelle est la position du parti sur les élections à venir ? Quelles consignes donnez-vous à vos sympathisants ? D’aller voter même si vous considérez que les élections n’ont rien de libre ou de transparent, ou de rester chez eux ?
En réalité, ce que nous essayons de faire comprendre à nos sympathisants, de même qu’à la communauté internationale, c’est qu’il n’y aura pas vraiment d’élections dans le pays. Le président Kagame a tricoté la constitution pour pouvoir se maintenir au pouvoir à vie. De toute évidence, les dés sont déjà lancés, ces élections sont en réalité jouées d’avance. Nous disons aux Rwandais de ne pas perdre leur temps avec un scrutin qui n’a aucun sens, des élections sans enjeu. Car un scrutin c’est avant tout permettre aux gens de choisir entre deux choix au moins, et au Rwanda ce n’est pas le cas. Même les gens qui ont refusé de signer pour que la constitution soit modifiée ont eu des problèmes, il y en a qui ont été harcelés, d’autres battus parce qu’ils négligeaient ce projet porté par l’Etat. Vous comprenez donc que celui qui te force à aller voter la modification de la constitution, ne va pas organiser une élection libre et transparente. Paul Kagame a tout manigancé pour se maintenir au pouvoir, ces élections ne sont qu’une formalité.
Cette échéance électorale s’apparenterait-elle donc à un plébiscité plutôt qu’à une élection ?
C’est juste une mise en scène pour permettre à Paul Kagame de se maintenir à la tête du pays. Il ne pouvait pas rester au pouvoir sans un simulacre d’élection visant à asseoir sa légitimité aux yeux de la communauté internationale. La population a été forcée de voter pour la modification de la constitution dans le seul but de permettre à une seule personne de diriger le pays indéfiniment, et tout est fait pour que cette même personne se présente et gagne ces élections. C’est pourquoi nous ne donnons aucune valeur à ces élections. Le seul objectif de ce scrutin est de valider le troisième mandat de Paul Kagame et non de permettre à la population de choisir ses dirigeants. Il n’y a pas vraiment d’élections, et mêmes les proches de Paul Kagame ne s’en cachent pas, le scrutin s’est clôturé avec le referendum. C’est ce même message que nous livrons à la population. Jusqu’à présent dans notre pays, la population n’a pas encore eu le droit de choisir librement ses représentants, les dirigeants s’imposent par la force.
C’est aussi pour ça que le régime refuse d’enregistrer d’autre parti qui puisse participer à faire de ce scrutin une compétition électorale digne de ce nom. Le président Paul Kagame a peur d’un rival en face de lui, il veut être le seul candidat. Par conséquent les jeux sont déjà faits.
Comment va madame Victoire Ingabire, la présidente de votre parti ? Avez-vous des contacts avec elle ?

Elle va bien, elle prépare son procès qui devait avoir lieu le 13 avril mais qui a été reporté au 22. On la voit une fois par jour pendant deux ou trois minutes, juste le temps de lui donner à manger. Elle garde le moral et elle est déterminée à continuer la lutte démocratique. Ce qui se passe ne la décourage pas, parce qu’à son retour au pays, elle connaissait bien les difficultés qui l’attendaient. Quand on la regarde dans les yeux, on ne dirait même pas qu’elle est en prison, au contraire, elle se préoccupe plus de notre situation dehors. A son retour elle savait ce qui l’attendait, donc elle s’était préparée. Elle ne se lamente pas, elle sait ce qu’elle fait, et cette volonté de se sacrifier pour le peuple, elle l’a dans le sang.
Que pense-t-elle de ces élections qui se préparent, vous qui la croisez ?
Sa position est identique à la nôtre puisque ce que nous faisons et ce que nous disons se font en concertation avec elle. Il n’y a pas d’élections au Rwanda, même si cela peut être difficile à comprendre pour les gens qui vivent dans des pays démocratiquement avancés et respectant les droits de l’homme. Quand ils entendent qu’il y aura des élections, ils prennent les choses dans le contexte des autres pays, alors que ça n’a rien à voir. Imaginez un pays où vous n’avez même pas le droit d’adhérer un autre parti que le FPR.
Ingabire comprend que tant que le FPR s’entêtera à refuser l’enregistrement d’autres partis politiques pour qu’il y ait de véritables élections multipartites, il n’y a pas de raison de perdre notre temps en assistant à ces mascarades d’élections, sachant que dans les faits personne au Rwanda n’a le droit de voter pour un autre parti politique que le FPR. La scène politique rwandaise est complètement verrouillée.
Qu’est-ce qui vous empêche de mener des actions pour éclairer la population et attirer l’attention du pouvoir sur les problèmes qui minent le pays ?
J’ai déjà expliqué que même se rencontrer à plus de trois personnes est impossible, vu qu’on risque de vous accuser de tenir une réunion pour un parti politique non reconnu. Tenir une conférence de presse est quelque chose d’inimaginable, personne n’acceptera de prêter de salle par peur des représailles. Vous comprendrez donc que, s’il est impossible de tenir une conférence de presse animée par une personne, l’organisation d’un plus large rassemblement est encore plus difficile. A chaque fois que nous essayons de prendre contacter avec la population, nous sommes accusés de vouloir propager des divisions au sein de la population ou de la pousser à la désobéissance.
On ne vit pas dans un pays ; c’est une prison à ciel ouvert où sont enfermés tous les Rwandais, personne ne peut rien dire ou faire qui aille à l’encontre de ce que veut le pouvoir.
On a fait dans le passé la connaissance de certains de vos partisans comme Leonille Gasengayire ou Illuminee Iragena, qui ont été persécutées. Est-ce qu’il y en a d’autres ? 
Ils sont nombreux. Ces dernières sont celles dont les médias ont eu la connaissance, mais sinon, ils sont nombreux à avoir disparu sans laisser de trace. Ceux dont on a parlé dans les médias, c’est parce qu’ils avaient une certaine notoriété à cause des fonctions qu’ils exerçaient dans le parti. Il y a en a tant d’autres portés disparus, par exemple parce qu’ils suivaient de près les procès des opposants arrêtés. Nous pensons que nombreux d’entre eux ont été assassinés, s’ils ne sont pas gardés dans les prisons secrètes où sont généralement retenus les individus hostiles à la politique du régime. Néanmoins, il est plus probable que la majorité ait été assassinée.Il y a aussi ceux qui ont été licenciés de leur travail accusés d’adhésion aux idées de l’opposition.
En bref, ils sont nombreux ceux qui sont persécutés, être membre de l’opposition dans ce pays est un délit impardonnable. A part les persécutions, quand vous êtes opposant, vous êtes également exclu de tout service public, vous ne pouvez pas obtenir de passeport ou de carte d’identité, vous ne pouvez pas lancer de business. Quand vous essayez quelques chose, ils font tout pour vous ruiner et vous mettre dehors.
Bref, être membre d’opposition dans ce pays c’est comme perdre sa citoyenneté. Toutes les forces publiques, que ce soit la police, l’armée ou les services administratifs, tous se chargent de vous persécuter et vous pourrir la vie. Ils commencent par vous faire renvoyer de ton travail, que vous soyez employé dans le public ou le privé. Le système tel qu’il est conçu, ne permet à personne d’adhérer un autre parti que le FPR.
Si les dirigeants du pays, notamment le président Paul Kagame, nous lisaient maintenant, quel message aimeriez-vous leur transmettre ?
Si Paul Kagame devait nous écouter, je lui dirais qu’il n’a pas le droit de priver les Rwandais de liberté dans leur propre pays, de les prendre en otage et d’en faire ce qu’il veut, et de faire semblant de ne pas comprendre ce qu’il a l’obligation d’entendre. Ce que je lui rappelle c’est que l’opposition n’est pas l’ennemi de l’État, l’opposition aide à la stabilité du pays.
Il doit cesser de croire que l’opposition est un ennemi d’État qui doit être traquée par la police, l’armée et tous les organes de l’État. L’opposition ne doit pas être en prison ou privée des services publics, ce sont des Rwandais comme les autres. Ne pas être dans le parti au pouvoir ne t’enlève pas de ta citoyenneté. S’il a vraiment la possibilité de suivre votre journal, j’aimerais lui dire que parmi les personnes ayant l’intérêt à l’ouverture de l’espace public au Rwanda, il est le premier puisque rien n’est éternel, il ne va pas priver éternellement les Rwandais de leurs droits.
Assassiner, emprisonner, réprimer ceux qui ne pensent pas comme lui ne peut que mener le pays vers un avenir désastreux. Même le bon Dieu en créant l’homme lui a donné le pouvoir de choisir, comment Kagame peut-il priver les Rwandais de leurs droits, en violation des conventions internationales qui plus est ? Il doit cesser de se dire qu’il peut diriger la population comme des moutons sans aucun droit, en leur faisant subir l’emprisonnement, la répression, et les atrocités de tout genre. Il est dans l’intérêt du pays que la population ait ses droits les plus fondamentaux et puisse s’exprimer et intégrer le parti de son choix.
Quel message livrerez-vous aux rwandais, surtout ceux de l’intérieur qui sont victimes de la répression au quotidien ?
Je n’ai qu’un message à livrer aux Rwandais : les problèmes engendrés par le régime dictatorial du général Paul Kagame, en premier lieu la confiscation des droits fondamentaux, ne seront résolus que par eux même. Ce n’est pas le président Paul Kagame qui se décidera de lui-même à restituer les droits qu’il confisqués tant d’années.
La liberté se conquiert. Si nous prenons tout le temps les devants pour donner l’exemple aux Rwandais, cela ne veut pas dire que nous soyons suicidaires ou n’aimions pas la vie, bien au contraire, c’est que nous avons compris que la liberté ne tombe pas du ciel, la liberté se conquiert. Une personne qui te prive de tes droits depuis des années, ne peut se décider un jour sur un coup de tête à te les restituer délibérément. Les Rwandais doivent savoir qu’il est de leur devoir de lutter pour leur liberté, la réponse au problème de leurs droits confisqués se trouve dans leurs mains. C’est à eux seuls de se battre pour la conquête de ces droits.
Ceux qui ont peur de mourir ou d’être persécutés doivent comprendre que la peur ne changera rien. Celui à qu’on cherchera à emprisonner ou à assassiner n’échappera pas à ce sort juste parce qu’il a peur. Ce n’est pas non plus la peur qui va pousser celui qui nous prive de nos droits depuis des années à avoir pitié et nous rendre notre liberté. Les Rwandais ont toutes les cartes dans leur main. Nous sommes tout de même encouragés de nous rendre compte que de plus en plus de personnes surmontent leur peur et parlent.
Kagame lui-même sait que ce qu’il fait est dangereux pour le pays. Mentir à la communauté international en disant que les Rwandais l’aiment à presque 100%, tout en refusant d’affronter un vrai opposant au cours d’un scrutin, montre qu’il sait lui-même que les Rwandais n’ont pas confiance en lui et n’approuvent pas sa façon de diriger le pays, contrairement à ce qu’il fait croire. Si vraiment Paul Kagame était autant apprécié qu’il le prétend, il n’aurait pas peur d’affronter au cours d’un scrutin libre et ouvert, les 3% ou les 7% de la population qu’il prétend être les seuls à ne pas le soutenir. Cela montre qu’il a peur des Rwandais, ceux-ci doivent exploiter cette peur pour leurs intérêts.

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Propos recueillis par Jean Mitari
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