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Rwanda : Aimable Karasira face à l’injustice

Rwanda : Aimable Karasira face à l’injustice

Aimable Uzaramba Karasira, enseignant en technologie de l’information et de la communication à l’université du Rwanda, qui a connu une grande célébrité sur les réseaux sociaux depuis 2019, grâce à son franc-parler et ses analyses impartiales sur le quotidien et la politique au Rwanda serait en train de subir une injustice en contrepartie.

Pour des fins visiblement politiques, une procédure disciplinaire visant le licenciement à son poste d’enseignant aurait été concocté par le FPR, parti au pouvoir, afin de se débarrasser de cet ami indissociable de la vérité, dont la popularité grandit du jour au jour. Le déclencheur de la procédure serait monsieur Edouard Bamporiki, secrétaire d’Etat au ministère de la jeunesse et de la culture, qui a imploré sur son compte Twitter que l’opinion exprimée publiquement par l’universitaire de ne pas envisager un mariage et surtout un mariage avec une rwandaise devrait entrainer son licenciement de son poste d’enseignant.

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Quelques jours seulement après le tweet de monsieur Edouard Bamporiki, le célibataire quarantenaire a été surpris de recevoir en date du 27 juillet 2020, une lettre émanant de son employeur, le directeur de collège des sciences et technologies, Dr. Ignace Gatare, lui demandant de fournir des explications relatives aux fautes disciplinaires qu’il aurait commises. Dans la lettre, plusieurs supposées fautes disciplinaires sont invoquées à l’encontre de Karasira y compris le fait d’avoir exprimé publiquement qu’il ne voudrait pas se marier et avoir des enfants avec une rwandaise ; avoir dit que le pays ne donne pas assez de valeur au jour de l’indépendance qui a lieu le premier juillet de chaque année ; avoir déclaré qu’il y’a des mauvaises conditions de vie au Rwanda ainsi que le fait de n’avoir pas poursuivi ses études de doctorat en 2008. 

Voyons-en bref, comment le contenu de la lettre adressée à Karasira contrevient à plusieurs dispositions légales rwandaises, sans même évoquer des violations aux conventions et traités internationaux que le Rwanda a ratifiés. Commençons par les erreurs de procédures avant de jeter un coup d’œil sur le fond.

Erreurs de procédure délibérées ou intention méchante ?

Karasira se voit reprocher des faits survenus et connus depuis 2008 relatifs au manquement de poursuivre ses études de doctorat. Le fait de ne pas poursuivre une formation à laquelle on a été envoyé et ne pas la poursuivre est passible d’une sanction disciplinaire de suspension de 3 moins maximum au travail sans être payé (faute lourde) selon l’article 13 de l’arrêté présidentiel nº 65/01 du 04/03/2014 portant modalités d’application du régime disciplinaire pour les agents de l’Etat au Rwanda. Pratiquement, ces faits seraient survenus il y a 12 ans. Evoquer aujourd’hui des faits connus et non sanctionnés par l’université en 2008 est un acte illégal si nous regardons l’article 39 de l’arrêté présidentiel nº 65/01 du 04/03/2014 ci-haut cité en ce qui concerne la prescription légale. 

Rappelons que la prescription est un principe général de droit qui désigne le délai au-delà duquel une plainte administrative ou autre, n’est plus recevable. L’article 39 en question prévoit alors que ‘Lorsqu’un délai de deux (2) ans s’écoule pour une faute disciplinaire passible d’une sanction de la deuxième catégorie (faute lourde) [dont la sanction qu’aurait subie Karasira]sans que cette sanction ait été encourue, la faute disciplinaire n’est plus en mesure d’être sanctionnée.’ 

Autrement dit, l’université n’a plus droit de poursuivre ces faits comme faute car il y a eu prescription légale.

Un autre vice de procédure apparait dans le dernier paragraphe de la lettre du docteur Ignace Gatare où il donne à Karasira l’ordre de fournir des explications sur les faits lui reprochés endéans 2 jours dès la réception de la lettre de demande d’explications. L’article 21 de l’arrêté présidentiel susdit prévoit un délai de 5 jours[1] pour que la personne trouve le temps suffisant de répondre à son employeur. Serait-ce l’ignorance de la loi par les hauts cadres académiques rwandais ou des erreurs délibérées et motivées par l’intention méchante de se débarrasser de Karasira au plus vite possible ? 

Erreurs de fonds 

Sur la question d’avoir dit que le Rwanda n’accorde pas assez de valeur au jour de son indépendance, est ceci une faute ou un crime ? L’article 38 de la constitution rwandaise de 2003 révisée en 2015 stipule que toute personne jouit de la liberté d’expression.[2]Il n’y a donc aucune violation légale quand une personne exprime son opinion. En plus, l’article 8 de la loi régissant les médias au Rwanda garantit la liberté de diffuser les informations dans les médias à la limite de ceux pouvant nuire à l’ordre public[3]. Même si cela était une violation de la loi, la compétence de poursuite aurait incombé à la police rwandaise et non à l’employeur car le sujet relèverait du domaine pénal.  

Les autorités de l’université lui reprochent aussi d’avoir exprimé publiquement que les conditions de vie au Rwanda sont mauvaises et qu’il ne se marierait pas avec une rwandaise. Il faut dire que, juridiquement parlant, tous ces propos ne sont que des opinions personnelles ne constituant pas une violation de la loi. A noter que Karasira avait parlé des mauvaises conditions de vie des Rwandais en se basant sur le rapport mondial du bonheur paru en 2020. Selon celui-ci le Rwanda figure parmi les 4 pays du monde où les citoyens se sentent le moins heureux[4]. Si les conclusions de ce rapport ne plaisent pas aux autorités politiques rwandaises, les évoquer ne devraient constituer en aucun cas un manquement aux obligations professionnelles d’un universitaire. 

Quant au renoncement au mariage et surtout au mariage avec une rwandaise, la décision personnelle de Karasira n’a rien d’illégale. Au contraire ce qui est illégal c’est le fait de vouloir contraindre Karasira à dire ou à faire le contraire.  Rappelons par ailleurs que de tels propos sur la vie privée ne peuvent pas être invoqués comme faute dans le cadre professionnel. En plus, l’article 23 de la constitution rwandaise interdit à toute personne de s’immiscer dans la vie privée d’autrui et de sa famille. Pratiquement, Karasira est victime d’immiscions dans sa vie privée de la part du Ministre Bamporiki Edouard ainsi que du Dr. Ignace Gatare. D’amples détails sur le mariage sont prévus par la loi nº 32/2016 du 28/08/2016 régissant les personnes et la famille au Rwanda. La loi nº 32/2016 du 28/08/2016 régissant les personnes et la famille au Rwanda, dans ses articles 11, 166 et 177, stipule que le mariage se fait sur base de la volonté, du libre choix et du consentement des partenaires. Le droit de se marier ou de ne pas se marier provient d’une décision personnelle et nul ne peut être mis sous contrainte de le faire ou de ne pas le faire. 

Des risques pour la vie d’Aimable Karasira ?

Pour Aimable Karasira, le principal intéressé, les motifs invoqués sont des prétextes pour se débarrasser d’une personnalité dont les propos gênent le FPR, le tout puissant parti au pouvoir.

Dans une interview accordée le 28 juillet 2020 au journal Umubavu, Aimable Karasira a dit craindre pour sa vie, et a tenu des propos qui résonnent comme un testament « « Lorsque tu dis une vérité qui diffère de celle du FPR [le parti au pouvoir] (…) tu es blacklisté. (…) Je suis prêt à ce qui va m’arriver. Commencez à dire à vos enfants et petits enfants qu’un homme du nom de Karasira a existé et a été victime de dire la vérité. Considérez moi comme Ndabaga, car j’avais un travail, j’avais un revenu, mais je suis allé au delà pour parler pour les rwandais. Je voudrais qu’ils se souviennent de moi comme Ndabaga, comme Ruganzu. Je vivais déjà comme une épave en raison de ce que ce système m’a fait, en tuant mes parents et d’autres choses, mais cette fois-ci, les signes montrent que mon tour est arrivé. Je partirai comme d’autres sont partis, comme Kizito est parti, organisez au moins des messes pour nous, nommez des lieux en notre mémoire, notre mort est imminente (…) nous connaissons nos détracteurs, nous savons qu’ils ne jouent pas, dès qu’ils n’apprécient pas vos propos, ils vous éliminent. »


Une pétition a été mise en ligne par le Cadre de Concertation de la Société Civile Rwandaise (CCSCR) pour condamner le harcèlement contre Aimable Uzaramba Karasira à Université du Rwanda, et plusieurs centaines de personnes l’ont dèjà signé en un peu plus de 24 heures.  

Gahima Jules
www.jambonews.net

Cliquez ici pour signer la pétition 


  1. PRIMATURE, arrêté présidentiel nº 65/01 du 04/03/2014 portant modalités d’application du régime disciplinaire pour les agents de l’Etat, journal officiel n° spécial du 06/03/2014, voir surhttps://mifotra.gov.rw/fileadmin/user_upload/Presidential%20Orders/ITEKA_RYA_PEREZIDA_RIGENA_UBURYO_BWO_GUTANGA_IBIHANO_KU_BAKOZI_BA_LETA_BAKOZE_AMAKOSA_KU_KAZI%202014.pdf
  2. PRIMATURE, constitution de la République du Rwanda de 2003 révisée en 2015, journal officiel n° spécial du 24/12/2015 voir sur https://cdn.accf-francophonie.org/2019/05/Rwanda-Constitution-2015.pdf
  3. PRIMATURE, loi n°02/2013 du 08/02/2013 régissant les médias , journal officiel nº 10 du 11 mars 2013, voir sur https://minict.gov.rw/fileadmin/Documents/Mitec2018/Policies___Publication/ICT_Laws/Media_law__page_280-28-49.pdf
  4. John F. Helliwell et al., World Happiness Report 2020, voir sur: https://happiness-report.s3.amazonaws.com/2020/WHR20.pdf

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