Jambonews FR - Restons informés

L’ancien Premier Ministre Faustin Twagiramungu, alias « Rukokoma » n’est plus

L’ancien Premier Ministre Faustin Twagiramungu, alias « Rukokoma » n’est plus

Ce samedi 2 décembre 2023, l’ancien Premier Faustin Twagiramungu est décédé en exil en Belgique à son domicile de Leuze en Hainaut à l’âge de 78 ans. Durant tout le week-end, les hommages se sont multipliés sur les réseaux sociaux envers cet homme qui aura marqué l’histoire politique du Rwanda. 

Faustin Twagiramungu, né le 14 aout 1945 à Cyangugu dans le sud du Rwanda, fut, en 1991, un des fondateurs du Mouvement Démocratique Républicain (MDR), principal parti d’opposition au régime du Président Habyarimana dont il assura la présidence entre 1992 et 1993.

C’est durant cette période qu’il se fera connaitre sous le surnom de « Rukokoma », du slogan « Turashaka Rukokoma» qu’on peut traduire par « nous voulons un Rukokoma », lancé par Twagiramungu et son parti pour réclamer une conférence nationale sur le modèle de ce qui se passait ailleurs en Afrique durant cette période de transition des régimes souvent militaires à parti unique aux systèmes multipartites. 

Le 7 avril 1994, à l’instar de tout politicien favorable à l’arrivée du FPR dans le paysage politique rwandais (« abajyojyi »), Twagiramungu est devenu une cible suite à l’assassinat du Président Habyarimana et n’a eu la vie sauve que grâce à l’intervention de la MINUAR avant d’être évacué vers la Belgique. Durant le génocide il a perdu 44 membres de sa famille tués par les interahamwe. 

En juillet 1994, au lendemain de la victoire militaire du FPR, il fût contacté par Seth Sendashonga qui l’invita à rentrer au pays afin d’exercer la fonction de premier Ministre conformément aux accords de paix d’Arusha qui avaient été signés le 4 aout 1993. D’abord hésitant, Faustin Twagiramungu a finalement accepté la mission « encouragé par certaines personnes de la communauté internationale»[1] qui voyaient en lui le symbole de la continuité et de la réconciliation. 

Dans une audition du 12 mai 1998 auprès de l’Assemblée National française, il a expliqué avoir accepté car il était animé par la volonté de « reconstruire le pays et donner l’espoir aux gens » afin de sortir de la sombre période que la population venait de traverser. 

A peine installé dans ses nouvelles fonctions, c’est la désillusion, il ressent « aussitôt que la substance des accords d’Arusha n’est plus là » et qu’il ne dispose d’aucun pouvoir de décision, lui à qui on n’hésite pas à publiquement rappeler qu’il n’avait « pas combattu ». A la mission d’information française, il donne, comme illustration de son impuissance de l’époque, l’exemple d’un ordre de mission pour une personne étrangère au gouvernement qu’il tarde à signer « un officier arrive et menace de me frapper pour avoir tarder à signer l’ordre de mission »[2]

A côté des obstacles quotidiens qu’il rencontre dans l’exercice de sa fonction, il commence rapidement à recevoir quasi-quotidiennement des informations faisant état de massacres de civils Hutu perpétrés par l’armée du FPR aux quatre coins du pays.  

Le 6 novembre 1994, alors qu’il est encore en fonction, le MDR dont il assure la présidence dénonce « l’incompétence » du FPR et dénonce dans un document de 32 pages « un second génocide perpétré par le FPR et les méthodes utilisées pour exterminer ses opposants qualifiés tous d’Interahamwe, signifiant pour les extrémistes du FPR, les Hutus d’une manière générale.»[3]

Dès le 8 décembre 1994, il évoque publiquement le gouvernement parallèle que formait l’armée, et devient depuis cette date « même plus une caution mais l’otage du nouveau régime. »[4]  

Le 30 mai 1995, d’une voix blanche, il confie son dépit au quotidien français Libération « je connais un jeune homme, un Hutu, qui a fait ses études secondaires près de Kigali. En avril 1994, lorsque le pays plonge dans le génocide, il décide de rejoindre les rangs du FPR. Il combat et, comme il a la physionomie tutsie, il finit par être parfaitement intégré. Aujourd’hui, ce garçon veut se suicider : parce qu’il participe à des exactions, parce qu’il a creusé la tombe des Hutus sommairement abattus… Ce garçon ne peut pas quitter la nouvelle armée mais craint, tous les jours, qu’on découvre qu’il est lui-même hutu. »[5]

Malgré cette atmosphère suffocante, Faustin Twagiramungu refuse la fatalité  «  je me maintiendrai ici, tant que je pourrai, pour peser sur le cours des événements. Je ne me fais guère d’illusions, mais je n’ai pas peur. Depuis que j’ai échappé aux massacreurs de l’ancien régime, je me considère un peu comme un miraculé, un mort sursitaire. »[6]

Le 25 août 1995, lors de ce qui sera son dernier conseil des Ministres, Faustin Twagiramungu épaulé par Seth Sendashonga, le Ministre de l’intérieur, va au clash avec le Général Kagame, auquel les deux hommes « reprochent les tueries commises par des éléments de l’armée patriotique rwandaise. »[7] 

Le Ministre de l’intérieur, qui en l’espace d’un an aura écrit 762 lettres à Paul Kagame pour l’alerter sur les tueries en cours déclare alors qu’au vu du silence du numéro un de l’APR face à ces lettres, il a fini par être convaincu que « le FPR a dans sa politique la volonté de tuer la population. »

Le général Paul kagame, à l’époque Ministre de la Défense et qui était assis à l’autre bout de la pièce en train de boire un verre d’eau le dépose violemment sur la table et quitte la réunion.[8]

Le Colonel Joseph Karemera, Ministre de la santé, se lève alors dans une colère noire, s’approche de Seth Sendashonga et tout en saisissant le Ministre de l’intérieur par la gorge en lui pointant un doigt sur la tête, lui déclare en plein milieu de ce Conseil des Ministres bien particulier « this big head of yours, we are going to blow it up. »[9] 

Les Ministres se dispersent dans un silence de cathédrale, la rupture est définitive. Faustin Twagiramungu qui vient de perdre ses dernières illusions sur la possibilité de peser sur les événements décide alors, avec d’autres Ministres, d’une démission collective.

Moins de trois jours plus tard, alors que le FPR a eu vent de leur projet de démission, Faustin Twagiramungu est officiellement révoqué par le parlement qui l’accuse de « ne pas assurer la coordination au sein du gouvernement »[10] en même temps que quatre autres ministres. D’autres ministres qui devaient se joindre à la démission collective, n’ayant pas, par crainte de représailles, osé aller au bout de leur projet. 

Faustin Twagiramungu tire un bilan particulièrement « amer » des 14 mois passés au gouvernement dont la pomme de discorde aura été la sécurité de la population, lui et d’autres ministres, en particulier les Ministres de l’intérieur et de la justice évoquant pratiquement à chaque Conseil des Ministres la question des massacres que l’Armée patriotique rwandaise était en train de commettre contre la population aux quatre coins du pays. 

Après sa démission Faustin Twagiramungu s’est exilé en Belgique d’où il a continué son combat politique pour un Rwanda démocratique. En 2003, il retourne au Rwanda pour faire face au général Kagame aux élections présidentielles du 25 août 2003, qui seront officiellement remportées par le général Kagame sur un score stalinien de 95%, à la suite d’une élection entachée par de très nombreuses et grossières irrégularités. 

En novembre 2010, il lance le parti politique « initiative du rêve rwandais », qui visait au travers notamment d’un dialogue franc sur l’histoire permettant de dépasser le clivage ethnique, de la mise en place d’un état de droit au Rwanda d’atteindre  d’atteindre le défi ultime qui était de permettre à chaque rwandais de « vivre en paix et libre partout, tout le temps ».[11]

Avec son parti politique, Faustin Twagiramungu s’est associé à d’autres partis et d’autres coalitions qui visaient à un changement de régime au Rwanda dont la plateforme MRCD, alors présidée par Paul Rusesabagina.[12]

A côté de ses activités politiques, l’ancien Premier Ministre était surtout connu pour ses nombreuses publications ou interviews dans lesquels il dénonçait, les abus du régime du FPR, et son président Paul Kagame qu’il avait promis de dénoncer « jusqu’à son dernier soupir » et qu’il accusait d’être derrière l’attentat du 6 avril 1994, et d’avoir planifié et commis « deux génocides, au Rwanda en 1994-1995 et en RDC en 1996-1998 ». Il est décédé ce samedi 2 décembre 2023 en exil en Belgique à son domicile de Leuze en Hainaut à l’âge de 78 ans laissant derrière lui son épouse, 3 enfants et plusieurs petits enfants.

Jambonews.net


  1. Audition de Faustin Twagiramungu à la mission d’information de l’Assemblée nationale française du 12 mai 1998. 
  2. Ibid.
  3. Audition de Faustin Twagiramungu à la mission d’information de l’Assemblée nationale française du 12 mai 1998, p. 11. 
  4. « Twagiramungu, martyr de la réconciliation, le Premier Ministre démissionné prônait l’unité entre Hutus et Tutsis », libération du 30 août 1995. 
  5. Ibid.
  6. Ibid.
  7. Quatre Ministres révoqués en plus de Faustin Twagiramungu. La crise au Rwanda compromet le retour des réfugiés », LeSoir du 30 août 1995. 
  8. Témoignage de Jean-Baptiste Nkuliyingoma, Ministre de l’information qui assistait stupéfait à la scène, dans le documentaire « Celui qui savait », réalisé en 2001 par Julien Elie. 
  9. Témoignage de Cyrie Sendashonga, veuve de Seth Sendashonga, dans le documentaire « Celui qui savait », réalisé en 2001 par Julien Elie.
  10. « Twagiramungu, martyr de la réconciliation, le Premier Ministre démissionné prônait l’unité entre Hutus et Tutsis », libération du 30 août 1995.
  11. http://www.veritasinfo.fr/pages/Rwandan-dream-initiative-texte-orginal-4232689.html
  12. https://www.jambonews.net/actualites/20190618-rwanda-le-rdi-de-faustin-twagiramungu-rejoint-le-m-r-c-d/

Commentaires

commentaires


© 2024 Jambonews