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Les motards de Kigali, qui sont-ils ?

Les motards de Kigali, qui sont-ils ?

D’abord, je n’ai vu que des hommes. Rien que des hommes. Pourquoi n’y a-t-il que des hommes aux commandes de ces deux roues ? Je l’ignore. A vrai dire il y a beaucoup de choses qui m’intriguent à propos de ces motards. On dirait des personnages tout droits sortis de l’imaginaire et à peine perceptibles par l’esprit.

les motards de Kigali

les motards de Kigali


Tantôt dedans, tantôt dehors. Ni riches, ni pauvres. La relation qui existe entre ces hommes et la population, au Rwanda, est des plus ambiguës. Premièrement, on les craint. Ils sont, en effet, la source de nombreux accidents dans la capitale. C’est qu’ils roulent vite ces mecs, en narguant souvent les quatre roues alors qu’ils se faufilent dans la circulation dense. Néanmoins, pour le peuple, ils sont indispensables. Ils t’amènent d’un point A à un point B en un rien de temps. Les prix sont négociables, mais il y a un minimum (environ  35 centimes d’euros). Des êtres silencieux. Seul le bruit de leur bécane résonne. Leurs visages cachés sous un casque…ils nous tendent alors le nôtre, avant même qu’on se soit accordés sur le prix de la course. Un casque aussi répulsif qu’il est inutile, il s’enlève à la moindre accélération. Le charme tombe.
Comme des sentinelles, ils sont partout, jour et nuit. Ils guettent, ils rôdent, prêts à bondir sur la moindre proie. On ne saurait dire s’ils sont véritablement après l’argent ou le savoir. Leur carnation très sombre ; cette même odeur, qui s’échappe de leurs combinaisons ; leurs corps rigides, tout porte à croire qu’ils n’ont aucune identité propre. Qu’ils feraient davantage corps avec leur machine (ou la Machine) qu’avec leurs passagers ? C’est faux. Ces derniers ont leurs motards préférés – ceux réputés les plus sûrs – qu’ils appellent à toute heure. Certains deviennent des confidents, des amants. Il m’est même arrivé de les voir comme des chevaliers des temps moderne. Le mystère reste entier quant à leurs identités véritables. Des êtres fantastiques, qui peuvent venir de la campagne comme de la ville. C’est que les plus jeunes sont fascinés par ces guerriers des quartiers populaires. Des musulmans, des divorcés, des chrétiens, des pacifistes, des animistes, des alcooliques, des Batwa ou des athées qui transportent toutes les tranches de la population, sans distinction : des étudiants ; des employés d’ONG qui parlent japonais ; des mamans rwandaises, portant leurs bébés dans le dos ; jusqu’aux vieillards en béquille en partance pour l’hôpital. Les motards s’adaptent. Leurs clients aussi. Voilà leur force.
Moto2Toujours est-il qu’on les craint. Assurément, ne tiennent-ils pas nos vies sur un fil, avec cet argent gagné si facilement – pensent beaucoup tout bas. Aussi ont-ils l’art de se fondre dans la nature. Peut-être les méprise-t-on pour toutes ces raisons. Ce sont les êtres les plus résilients. Ils ont la ville et ses habitants dans la poche, au point qu’on se demande pour qui ils roulent réellement…C’est la question que je me pose à chaque fois que j’ai l’occasion de monter derrière un des ces motards. Or, une fois dessus, la vitesse des ces engins dissipe aussitôt mes interrogations. Et l’intrigue s’intensifie quand je décide de fermer les yeux, sous le soleil brûlant de midi, me laisser transporter par ces hommes de l’ombre. Qu’à cet instant précis, le monde, ma vie ne m’appartiennent plus.
En fin de compte, ces chevaliers malgré eux ont ce pouvoir d’incarner en nous, le temps d’une course, nos angoisses existentielles les plus refoulées autant que notre volonté de persévérer dans l’être (Spinoza). Ils reflètent cette rivière dont le calme inquiète avant la traversée, mais où l’on ne s’empêchera de revenir le lendemain pour étancher sa soif. Oui, ils ne sont ni dedans, ni dehors. Ni un mal, ni un bien. Ils sont juste ce qu’ils sont :la raison pratique du Rwanda. Ce lien qu’on ne saurait expliquer, mais qui néanmoins se doit d’exister nécessairement.
Jean Bigambo
www.jambonews.net
 
Du même auteur :
Les cinquante nuances de l’Afrique, avec Spinoza – Introduction
Les cinquante nuances de l’Afrique, avec Spinoza – Chapitre I : Du Corps et de l’esprit
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