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Rwanda: Au-delà des chiffres de la croissance économique (2ème partie)

Rwanda: Au-delà des chiffres de la croissance économique (2ème partie)

L’importante croissance économique du Rwanda ces dernières décennies a été la pièce maîtresse de l’histoire de la transformation du pays. Cependant, nous nous attardons rarement sur la question de la nature de cette croissance ou si les risques contentieux croissants auxquels le Rwanda est exposé aujourd’hui rendront cette progression économique durable. Le récit ci-dessous fournit une analyse profonde de l’économie du Rwanda afin de permettre aux parties prenantes de regarder au-delà des chiffres de la croissance économique du Rwanda.
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La transformation économique

Alors que la croissance du Rwanda a été remarquable, l’économie du pays doit encore se tourner vers des secteurs plus productifs et créer plus d’emplois. Durant les dernières années, l’économie du pays a subi plusieurs modifications structurelles. En particulier, le secteur des services est devenu celui contribuant le plus au produit intérieur brut du Rwanda (PIB), avec une contribution estimée à 51,7% en 2014. Ainsi, le secteur des services a dépassé le secteur agricole dont la contribution au PIB a diminué pour atteindre 33,4%. La contribution du secteur industriel au PIB se situe à 14,9%. Le hic avec cette transformation est que le secteur des services tend à créer moins d’emplois. Les postes décents dans le secteur des services vont à ceux qui ont eu une éducation de qualité et qui ont acquis les qualifications pertinentes au Rwanda ou à l’étranger. Comme souligné dans la première partie de cet article, en raison de revenus insuffisants et inégaux parmi les ménages, seuls quelques-uns peuvent se permettre l’enseignement privé au Rwanda ou à l’étranger, enseignement qui offre une éducation de meilleure qualité par rapport aux écoles publiques du pays. Le développement du secteur de l’agriculture, qui emploie le plus de monde au Rwanda, et du secteur de l’industrie qui tend à créer plus d’emplois, est en cours et nécessite des investissements massifs que le gouvernement rwandais seul ne peut pas supporter.

Dans le même temps, le chômage, en particulier parmi les jeunes, demeure féroce et pose un défi au Rwanda malgré sa belle croissance économique. Les chiffres officiels indiquent que le taux de chômage au Rwanda était de 3,40% en 2012. Toutefois, ce chiffre masque des niveaux élevés de sous-emploi. Parmi les jeunes rwandais, le taux de sous-emploi est estimé à 70%[1]. L’économie du pays se développe en apparence mais ne crée pratiquement aucun emploi décent. Afin de mieux comprendre la nature de la croissance économique du Rwanda, on doit également se référer à l’indice ONUDI de la performance compétitive de l’industrie (ONUDI : Organisation des Nations Unies pour le développement industriel). L’indice montre à quel niveau la croissance s’est traduite en une transformation économique et créée de l’emploi par la suite. Le Rwanda est classé 129e sur 133 pays pour l’indice de performance compétitive de l’industrie de l’ONUDI. Selon un rapport économique de la Banque mondiale sur le Rwanda datant de 2014, l’échec du Rwanda à stimuler une transformation économique significative est en grande partie dû au fait que son économie est restée dépendante de grands investissements publics soutenus par une aide étrangère énorme plutôt que d’être autonome et conduite par le secteur privé et les exportations nettes.

Secteur privé

BoP

Les réformes législatives entreprises par le gouvernement pour attirer les investissements du secteur privé au Rwanda n’ont pas donné de résultats tangibles, bien que le classement du Rwanda pour l’indice « Doing Business » de la Banque mondiale et l’indice de compétitivité du Forum économique mondial se soit considérablement amélioré. Ces réformes seules, cependant, ne peuvent attirer les investissements privés massifs qui sont nécessaires pour tourner l’économie vers le secteur privé et vers l’exportation. Cela est dû à un certain nombre de problèmes pratiques qui empêchent le secteur privé de fleurir dans le pays. Certains d’entre eux étant: 1) une faible consommation domestique au Rwanda en raison d’une petite classe moyenne au faible pouvoir d’achat, 2) un coût du crédit élevé en raison de faibles niveaux d’épargne dans le pays dus notamment à un faible revenu du ménage, comme expliqué dans la première partie de cet article, 3) les coûts de transport élevés, le Rwanda étant un pays enclavé, 4) le faible accès à l’électricité, 5) une dépendance à peu de  produits de base destinés à l’exportation par rapport aux autres pays de la région des Grands Lacs et de la Communauté d’Afrique de l’Est, 6) le contrôle strict des investissements et du crédit par des réseaux proches du gouvernement et par les milieux privilégiés de Rwandais à l’étranger, etc. Dans ce contexte, les investisseurs étrangers et plus récemment une importante vague d’entrepreneurs du Rwanda et d’autres de la diaspora rwandaise à travers le monde, placent leur capital ailleurs en Afrique plutôt qu’au Rwanda.

Risques

Le potentiel du Rwanda pour attirer les investissements et stimuler son économie est également mis à mal par de plus en plus de risques particuliers qui conduisent à se demander si les progrès économiques prônés du pays sont durables. Il y a un risque social, à savoir, si le Rwanda d’aujourd’hui a véritablement réussi à restaurer l’unité nationale et la réconciliation parmi sa population de manière à garantir aux investisseurs que le pays est exempt de conflits. De nombreuses voix indépendantes se sont prononcées contre l’image souvent donnée qui serait celle d’une unité nationale et d’une réconciliation presqu’atteintes au Rwanda. Selon le rapport BTI de 2014 sur le Rwanda, «ni les résultats électoraux, ni les sondages d’opinion publique commandés par le Sénat, ni l’activité continue des Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR), en RDC ni la propagande anti-FPR de Rwandais exilés ou qui se sont échappés à l’étranger ne peuvent être considérés comme des sources fiables pour prouver le succès ou l’échec de la restauration de l’unité nationale. » Dans son livre publié récemment intitulé Whispering Truth to Power: Everyday Resistance to Reconciliation in Post genocide Rwanda, Susan Thomson, professeure adjointe du programme  Paix et  conflits de l’Université Colgate aux États-Unis, fait valoir que beaucoup dans la communauté internationale ont fait l’éloge du gouvernement post-génocide du Rwanda pour ses efforts pour promouvoir l’unité et la réconciliation nationale en minimisant les différences ethniques et sa mise en avant d’ «un Rwanda pour tous les Rwandais ». L’auteure relate alors comment les plus démunis de la nation se sont engagés dans une résistance quotidienne, en « chuchotant » attentivement et avec prudence leur vérité sur les pouvoirs en place. Selon Thomson, cette opposition tranquille suggère que certaines des plus célèbres politiques post-génocide mises en place  ont échoué à rassembler un soutien de la base, nécessaire pour maintenir la paix.

Le deuxième risque concerne les affaires politiques internes du Rwanda. Le pays est accusé d’étouffer tout espace politique, d’atteintes aux droits humains et de manquer de liberté d’expression. Le style de gouvernance du pays est souvent décrit dans les médias internationaux comme autoritaire. L’histoire contemporaine a montré que les pays en développement où les citoyens éprouvent des difficultés socio-économiques chroniques, tout en étant en même temps constamment empêchés d’exercer leurs droits fondamentaux, sont susceptibles de faire face à des troubles sociaux à un moment donné. Le Rwanda n’est pas à l’abri d’un tel sort malheureux. Par conséquent les investisseurs averses au risque perçoivent  l’investissement au Rwanda comme risqué et peu attrayant.

La question de qui a abattu  l’avion présidentiel en 1994, déclenchant  peu après la vague de massacres ethniques, conduisant finalement au génocide, expose le pays à un risque politique supplémentaire. La récente diffusion de « Rwanda’s Untold Story« , documentaire diffusé par la BBC dans le monde entier, a révélé des preuves qui remettent en question le récit largement médiatisé de ce qui est arrivé exactement au Rwanda en 1994. Le documentaire a remis en question la légitimité politique du pouvoir actuel au Rwanda. Des témoins dans le documentaire ont pointé du doigt les dirigeants  actuels comme étant responsables de l’attentat contre l’avion présidentiel qui a déclenché les massacres ethniques de 1994. Cela rend les investisseurs potentiels méfiants à l’égard de la gouvernance actuelle et de son système judiciaire ;  ils perdent confiance en cette même gouvernance, alors que cette confiance est essentielle pour assurer la sécurité à long terme des investissements étrangers et nationaux dans le pays.

En outre, le nombre croissant d’officiers militaires de haut rang, d’intellectuels et de propriétaires d’entreprises de premier plan autrefois proches du pouvoir au Rwanda et qui sont maintenant soit en exil, en prison ou morts, est également préoccupant. La question se pose de savoir si une telle rigidité politique, et la possibilité d’une modification de la constitution rwandaise pour  permettre au président sortant de briguer un troisième mandat en 2017, ne viendront pas intensifier l’antagonisme entre les élites et autres soutiens très proches du pouvoir actuel pour finalement déclencher le chaos dans le pays à un certain moment avant ou après 2017. La politique interne du Rwanda devient progressivement incertaine et cela rend le pays moins attrayant pour les investissements privés. Ce qui est certain est que tout ajustement constitutionnel au Rwanda va impacter négativement la coopération économique entre la communauté internationale et le Rwanda. L’annonce récente par la Belgique de l’annulation d’une aide au Rwanda de 40 millions d’euros à cause de l’échec du pays à atteindre les objectifs de liberté des médias et de la gouvernance est un signal, démontrant  ainsi que les pays donateurs  sont susceptibles de suspendre leurs aides si la constitution du pays venait à être modifiée. Toute suspension ou retard d’aide affectera certainement  l’économie du Rwanda.

Le dernier risque est au niveau géopolitique, en référence aux événements qui se produisent dans d’autres pays de la Région des Grands Lacs et de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) qui empêchent le Rwanda d’attirer les investissements privés. Par exemple, il est encore trop tôt pour établir si les FDLR, un groupe rebelle rwandais opérant dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) disparaitront un jour ou s’ils essaieront de rentrer au Rwanda par la force. Il n’est pas non plus clair si l’implication présumée du Rwanda dans le conflit à l’Est de la RDC a vraiment pris fin [2]. Par conséquent, un scénario de confrontation entre la RDC et le Rwanda ne peut être complètement exclu. La guerre des mots entre le Rwanda et ses pays voisins, à savoir la RDC et la Tanzanie à cause du conflit dans l’Est de la RDC n’est pas passée inaperçue. Il n’est pas certain que les disputes entre ces pays aient  complètement cessé. Ces divergences constantes entre le Rwanda et ses pays voisins (RDC et Tanzanie) sur le conflit en RDC mettent le Rwanda dans une position difficile, son enclavement le rendant dépendant de ses voisins pour développer la coopération commerciale et attirer des investisseurs privés pour stimuler son économie.

En outre, la crise politique en cours au Burundi et les prochaines élections présidentielles en Ouganda représentent un obstacle supplémentaire pour le Rwanda. Le Burundi partage certaines caractéristiques sociales avec le Rwanda, tout désaccord politique, qui pourrait rapidement se transformer en conflit ethnique au Burundi, se propagera au Rwanda et provoquera le désordre dans la région. De plus, toute implication inconsidérée d’un ou plusieurs Etat(s) membre(s) de la Communauté d’Afrique de l’Est dans la crise politique en cours au Burundi pourrait créer des conflits et attiser les tensions entre les Etats membres. L’actuel président ougandais, qui est au pouvoir depuis 25 ans, a également fait entendre qu’il serait de nouveau candidat aux élections de 2016. Tout trouble social autour des élections présidentielles ou des problèmes socio-économiques en Ouganda impliquerait que les marchandises d’importation et d’exportation du Rwanda qui sont acheminées à partir du port de Mombasa au Kenya via l’Ouganda seraient mises en attente. Enfin, les récurrentes attaques terroristes  d’Al-Shabab au Kenya ont également un impact négatif important sur les importations et les exportations du Rwanda qui transitent par ce pays.

La voie à suivre

Jusqu’à présent, la croissance économique du Rwanda a été tirée par d’importants investissements publics financés par l’aide internationale. Cette croissance n’a pas été suffisante pour créer des emplois décents qui auraient permis la transformation économique pour la majorité des Rwandais. Alors qu’il est clair que le Rwanda a besoin d’attirer un investissement privé massif pour atteindre une transformation économique, l’actuel climat d’investissement du pays attira uniquement ceux qui investissent un capital restreint, en raison du faible pouvoir d’achat des consommateurs et les risques associés à investir au Rwanda. Afin d’attirer d’importants flux d’investissements privés au Rwanda et soutenir des progrès économiques durables, les décideurs politiques en place au Rwanda devront aborder les questions socio-économiques auxquelles sont confrontées les populations comme relaté dans la première partie de cet article. Dans le même temps, ils devront sérieusement se pencher sur les risques internes sociaux et politiques ainsi que géopolitiques auxquels le Rwanda est exposé.

SUITE:
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Écrit par Aimé Sindayigaya édité par Jules Niyibizi
Traduit de l’anglais par Gisèle Uwayezu
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Pour plus d’articles écrits par l’auteur visitez: www.insightfulquotient.com 
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[1] http://unctad.org/Sections/un_ceb/docs/ceb_2014_06_Rwanda03_en.pdf
 
 

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