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Le discours rwandais de la modernité 

Le discours rwandais de la modernité 

Le Rwanda a acquis, davantage encore de l’extérieur, la réputation d’être devenu un havre de paix, épargné par le chaos environnant, qui sévit notamment au Burundi et République Démocratique du Congo voisins. Un petit miracle, bercé de visions (2020) et d’aides au développement. Joyau des Mille Collines, plébiscité par les investisseurs étrangers : pour sa sécurité, qui donne une certaine quiétude (une femme (blanche) peut faire son jogging la nuit tombée sans grande crainte de se faire agresser). Une meilleure qualité de l’air due aux nombreux espaces verts ; les oiseaux chantent, ou plutôt s’égosillent ; on hume le café fraîchement torréfié des Virunga, très prisé des connaisseurs, avant de le déguster, débonnairement, dans les coffee bars, accolés aux centres commerciaux. Le Wi-fi y est gratuit. Les rues et trottoirs sont dépoussiérés quotidiennement. Outre ces qualités sensibles, ce même enfant prodige brille par la transparence de ses institutions, qui facilitent l’entrepreneuriat. Oui, tout y fait de sorte qu’on se sente chez soi. Une image idyllique, qui ne serait être vraie ?
Capture d’écran 2016-04-04 à 17.57.54Oui. Car à peine on gratte la surface que la réalité se montre sensiblement moins reluisante. On aurait tellement voulu y croire, ma foi. C’est dire si ce pays n’est beau que pour l’âme qui y séjourne de manière éphémère, à savoir l’étranger (blanc). Celui ou celle qui ne pourra voir la face cachée, le fond de vallée des Rwandais. Tout est surjoué. Néanmoins, on est aux antipodes de la tragédie grecque. Le rêve et la réalité se confondent, sous l’équateur. Les émotions à peine perceptibles…avant qu’on aperçoive des mendiants, dans ces mêmes rues dépoussiérées il y a quelques heures. La magie cesse aussitôt d’opérer, malgré la discrétion, la ruse de ces misérables. Oui, la faim a cette faculté de dissiper les rêves.
 
« Et malheur à toi si tu oses, en effet, dire que t’as faim.
Aussi, ne marcheras-tu point pieds nus.
Tu porteras tes courses dans des sacs en cartons bruns, à la manière des Américains.
Tu ne t’indigneras point, sauf si on te le demande.
Enfin, tu prieras le Bon Dieu, afin qu’il élève ton âme. »
 
Le peuple rwandais vit dans la transcendance. Vision 2020 oblige. La réalité est trop dure à supporter. Le génocide a aggravé le cynisme, déjà légendaire, des Rwandais…cet évènement innommable, oh combien tragique, dépassa de loin l’entendement humain, il faut l’avouer. Qu’on préfère en fin de compte se réfugier dans des mythes (bibliques) et autres imageries factices. Voilà aussi l’une des causes qui poussent, chaque jour, cette volonté de transcendance : atteindre un au-delà, forcément illusoire, à défaut d’assumer le monde ici-bas. Cela relève moins de la folie que de la survie. En effet, le Rwandais, suite aux innombrables traumatismes – étalés dans le temps et l’espace – mêlés à une certaine impuissance, vit dans un mutisme profond, un autre monde. Le message chrétien et musulman symbolise cet ultime refuge céleste, inatteignable. Même par Kagame.
Un modèle de développement qui refuse de se remettre en question ? Un discours de modernité fustigé par les autorités, mais imperméable à la critique ? L’ascension linéaire qui, au passage, écrase toute voix dissidente, à commencer par les biens trop nombreux have nots. Ou plus précisément de la femme hutue, pauvre. Celle-là qu’on voit porter le panier de banane sur la tête et enfant dans le dos, en bord de rue, sous le soleil brûlant de midi. Souvent, elle se retrouve contrainte de mendier. Malheur à elle si on l’y attrape. Elle doit se rendre invisible, aux yeux de tous, surtout aux hommes occidentaux (blancs). Des exemples pareils pleuvent au Rwanda. Assurément, une telle image contraste fortement avec les flamboyants gratte-ciels du centre-ville. Alors on réprime à coup de matraque. Et qu’adviendra-t-il de cet enfant dans le dos ? Si c’est un homme, dans le meilleur des cas, il deviendra chauffeur de taxi-moto. Dans le meilleur des cas. L’espoir est là, Dieu soit loué, bien qu’il n’ambitionne point au-delà de sa condition. « C’est toujours mieux ça qu’une guerre civile… », remarque un observateur (blanc) étranger. C’est la voix de la rationalisation, nous a-t-on trop souvent appris. Bref, de la modernité, tout dépend de là où l’on se place pour l’observer.

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Kigali – Rwanda


En conclusion, on a banni les sacs plastiques, au nom de l’écologie. Mais est-ce que celle-ci passe avant la démocratie ? Ibaze nawe. Moderniser, à coup de marteau, sous injonction des bailleurs de fonds, ne témoigne point d’une quelconque forme de souveraineté du peuple rwandais. Au contraire. Le discours rwandais de la modernité est vide de sens. Sur quoi s’appuie-t-il, véritablement ? Il ne remet nullement en question les structures de pensée (traditionnelles, pour ne pas dire archaïques) du pays. Parce qu’au sens occidental du terme[1], la modernité se caractérisa par une subjectivité grandissante : la volonté de liberté (propriété de l’esprit). Au sens général, cela fut l’essor de l’individualisme, du droit à la critique et à l’autonomie de l’action. Or, au Rwanda, les riches et les pauvres, surtout les pauvres évidemment, sont comme des robots. Leurs gestes sont scrutés, calculés et déterminés à l’avance.
De comment le rwandais il conçoit, intérieurement, sa modernité, débarrassée des discours importés, imposés, on ne le sait pas. Bref. Au fond, il est légitime de se demander si Kagame ne confondrait pas émancipation et rédemption…
Jean Bigambo
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[1] Jürgen Habermans Le discours philosophique de la modernité (trad. de l’allemand par Christian Bouchindhomme et Rainer Rochlitz) Editions Gallimard, 1988 (trad. française)

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