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20 ans après le génocide: Une société blessée par son passé et son présent

20 ans après le génocide: Une société blessée par son passé et son présent

Cela fait 20 ans depuis les atrocités du génocide rwandais, et 24 ans depuis le début de la guerre au Rwanda, et la société rwandaise est toujours confrontée à de nombreux défis qui devront être relevés avant que toute guérison et réconciliation puissent avoir lieu.

Derrière le climat politique défavorable tant critiqué du Rwanda, se trouve une communauté déchirée et dispersée en raison de préjugés, de haine et de douleur dans une crise sociale multifactorielle. La communauté rwandaise est peu à peu devenue amère à cause de différents problèmes de notre patrie et des effets, souvent douloureux, que ces problèmes ont eus sur nos vies. Dans une tentative de comprendre et de traiter tout ce qui s’est passé, certains Rwandais ont tendance à projeter leur douleur personnelle sur leurs compatriotes et à renforcer ainsi une société fragmentée dans des groupes qui ne peuvent ni se mélanger ni se parler.
Un garçon rwandais vivant au Rwanda expliquait un jour qu’il n’avait pas été pris pour un poste, et il était convaincu que la raison derrière son chômage était qu’il était Hutu. Un autre, aux caractéristiques stéréotypées d’un Tutsi, avait été expulsé d’un bar à Bruxelles et avait été traité d’« Inyenzi » [« cafard » ou militant FPR], alors qu’une jeune fille tutsie partie étudier à l’étranger, expliquait qu’elle ne se sentait pas assez à l’aise pour partager un verre avec des étudiants rwandais qu’elle savait être de fervents partisans de Victoire Ingabire Umuhoza.
La plupart d’entre nous Rwandais, qui avons vécu un chapitre de violence de l’histoire de notre pays, gardons des sentiments de colère, de ressentiment, de peur et d’injustice envers des personnes de notre propre société. Même la nouvelle génération, souvent innocente et ignorant tout des dynamiques sociales habituelles, hérite de ces associations négatives à certains égards. La raison pour laquelle nous sommes si fragmentés est simple: nous ne nous faisons pas confiance les uns les autres. Une voix dans la vidéo de « Mpore, qui es-tu? » saisit bien cette question et offre une description de la « peur » des Rwandais qui, selon les producteurs, « impose la méfiance ». La vidéo, qui représente les victimes de tragédies qui ont lieu dans la région des Grands Lacs depuis plus de 20 ans, rappelle à notre communauté que même si nous avons des histoires de vie différentes, à la fin, nous ne sommes qu’un. Pourtant, nous n’arrivons pas à nous entendre. Ceci est partiellement dû à un passé commun et ses traumatismes, mais également à une société en pleine transformation qui reproduit de nouveaux conflits sur la base du principe de division du « nous » contre « eux ».

Tout est politique, mais la politique n’est pas tout

Une des principales causes de la méfiance est le malheur du Rwanda qui a hérité de politiques malhonnêtes depuis la monarchie. Beaucoup de dirigeants nationaux ont cherché à monter un groupe de Rwandais contre un autre. Bien que les historiens ne s’entendent pas sur le rôle de l’ethnicité et des affiliations régionales du Rwanda précolonial, il est juste de dire que si les tensions ethniques étaient présentes, elles n’étaient pas au point de représenter de menaces nationales de génocides et de massacres. Toutefois, lorsque nos ancêtres furent envahis par les Allemands et puis par les Belges, les groupes ethniques furent activement montés les uns contre les autres. Les rois tutsis continuèrent dans cette idéologie.
Lorsque les premiers présidents hutus arrivèrent au pouvoir, la majorité ethnique dirigea le pays, et une partie de la minorité fut réduite à un silence plein d’amertume. Dans l’ère moderne du FPR, le leadership gouvernemental, comme au vieux temps, se concentre sur le musellement du groupe ethnique le plus important. Comme exemple clair des stratégies du régime, à part l’exclusion des victimes hutues des commémorations nationales du Rwanda, l’on peut prendre notamment le dernier programme international de « Ndi Umunyarwanda » où tous les fils et filles hutus sont appelés à présenter des excuses au nom de leurs parents pour les crimes commis contre les Tutsi pendant le génocide. En effet, dans le Rwanda moderne, être Hutu a été réduit à être génocidaire ou à être de toute façon lié aux auteurs du génocide.
Pourtant, il serait injuste de parler uniquement de l’ethnicité, car de nombreux Tutsis ont aussi beaucoup souffert sous le FPR. Des personnes comme Déogratias Mushayidi et les différents membres du RNC qui sont exilés à travers le monde démontrent que la crise sociale du Rwanda dépasse l’appartenance ethnique et politique. Sans oublier les groupes à ethnicité mixte, dépassant la 20taine, apparus à travers le monde et auto-déclarés partis politiques d’opposition.
En résumé, les dirigeants ont échoué à plusieurs reprises, mais la mauvaise politique n’est qu’une partie de l’histoire.

Traumatismes

L’autre partie de l’histoire est marquée par des expériences passées malheureuses qui ont contribué à notre perception de la société. La triste vérité est que les souvenirs personnels ne disparaissent pas, et la mémoire collective refuse d’être manipulée malgré la tentative du FPR d’imposer sa version officielle du génocide rwandais.
En réalité, nous et ceux qui nous sont chers, avons souffert d’une manière ou d’une autre au cours des 24 dernières années. À l’heure actuelle, certains sont encore tués, enlevés ou emprisonnés à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du Rwanda. Ces expériences négatives augmentent le fractionnement de la communauté rwandaise car beaucoup de victimes ne peuvent séparer le comportement individuel de certains acteurs du comportement collectif du groupe et se retrouvent dans le cercle psychologique vicieux de « celui qui n’est pas avec moi est contre moi« .
duhungirehePour exemple, une personne qui a perdu sa famille à cause du FPR tend à considérer tous les membres et simples partisans du FPR comme ses ennemis personnels. De même, un Rwandais qui a souffert à cause des Interahamwe ressent une hostilité certaine envers tous les dirigeants de 1994 et envers leurs descendants. En conséquence, beaucoup sont condamnés socialement pour avoir simplement un nom qui rappelle le régime Habyarimana. Dans un récent débat houleux sur Twitter, Tom Ndahiro, chercheur et conseiller du président Kagame, et Olivier Nduhungirehe, représentant permanent du Rwanda auprès de l’Organisation des Nations Unies, déclaraient que les promoteurs de la campagne Mpore20 étaient des «fils et filles de » génocidaires. Il est en effet fréquent de voir comme ici de jeunes rwandais jugés et condamnés simplement parce que leurs noms correspondent aux noms de ceux qui ont servi sous les différents gouvernements du président Habyarimana.
Une telle réflexion reflète cependant un certain niveau d’ignorance et de méconnaissance de la diversité au sein de la société rwandaise. Outre les différences ethniques et générationnelles, de grandes divergences existent entre les Rwandais de la diaspora et ceux qui vivent encore aujourd’hui au Rwanda en termes d’idées sociales et politiques sur leur pays. Cette fragmentation, si elle continue d’exister, nous réserve un avenir sombre. K’naan, un chanteur-compositeur somalien, a décrit les cinq étapes qui mènent à la violence aveugle dans sa chanson intitulée Tribal War:
« One: It’s me and my nation against the world. Two: Then me and my clan against the nation. Three: Then me and my family against the clan. Four: Then me and my brother with no hesitation go against the family until they cave in. Five: Now who’s left in this deadly equation? That’s right; it’s me against my brother. Then we point a Kalashnikov and kill one another »
(« Un : C’est moi et ma nation contre le monde. Deux : Puis moi et mon clan contre la nation. Trois : Puis moi et ma famille contre le clan. Quatre : Puis mon frère et moi irons sans hésitation contre la famille jusqu’à ce qu’ils cèdent. Cinq : Et maintenant, qui reste de cette équation mortelle? Exactement  : c’est moi contre mon frère. Puis nous prenons nos Kalachnikov et nous nous entretuons. »)
En plus de créer des tensions inutiles, la ségrégation établit également un terrain dangereux propice à l’explosion de la violence. Récemment, le Rwanda a été classé parmi . En outre, en se renfermant dans certains groupes uniquement pour exprimer sa pensée, l’individu est dénié son existence même et disparaît ainsi derrière les problèmes sociaux. Ensuite, il devient extrêmement difficile pour les esprits indépendants de se développer et oser s’exprimer.

Favoriser la diversité

La question reste alors de savoir comment arrêter la fragmentation et comment retrouver un sentiment d’unité. Tout d’abord, nous devons valoriser l’expression personnelle et la libre pensée avant que nous puissions faire monter l’ensemble des Rwandais. Nous devons reconnaître l’existence de différences historiques, politiques, sociales et psychologiques, et les accepter. Jusqu’à ce que chaque Rwandais comprenne que lui et le groupe auquel il appartient ne sont pas les seules victimes des tragédies du Rwanda, et que leur histoire n’est pas plus importante que celle de leur voisin, la société rwandaise n’évoluera jamais du fractionnement vers la cohérence d’une nation réconciliée.
Ensuite, au lieu d’éviter certaines assemblées et de garder les cercles familiers hermétiquement fermés, nous devrions plutôt faire de la place pour la pensée individuelle et accepter que tout un chacun puisse penser différemment. Alors seulement il peut y avoir une plate-forme pour un dialogue ouvert dont le but ne serait pas de convaincre mais d’écouter l’autre. Cela stimulerait la société à se lier en tant que groupe.
kwibuka-20Bien que l’idée d’apprécier nos différences en tant qu’individus soit différente de l’approche centrée sur la communauté que privilégie notre culture, elle offre un point de départ clair à partir duquel chaque Rwandais peut se redéfinir et savoir où il se situe dans la société rwandaise et pourquoi.
La campagne de Kwibuka20, cette année, était intitulée « se rappeler, s’unir, se renouveler », un thème bien choisi si ce n’était pour la version unilatérale de Kigali sur l’histoire. En plus de se souvenir ensemble, chacun devrait aussi pouvoir commémorer les siens, et en même temps permettre à l’autre de se souvenir des siens. Sur le long terme, nous serons en mesure de nous renouveler aussi bien nous-mêmes que notre société, pour le bien des générations plus solidaires de demain. En tant que tel, nous aurons mis un terme à un cercle vicieux qui nous sépare de plus en plus et aurons empêché d’autres tragédies de se produire à l’avenir. Car, comme le dicton rwandais le dit, « tous les Rwandais sont les enfants de Kanyarwanda ».
Jane Nishimwe
Traduit de l’anglais par Gisèle Uwayezu
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