En 2012, la Banque Africaine de Développement (BAD) reconnaissait que le chômage des jeunes au Rwanda constitue un défi majeur pour atteindre une croissance inclusive. Selon la BAD 42 % des jeunes, qui représentent 40% de la population rwandaise soit 1 982 400 de personnes, étaient au chômage ou sous-employées dans le secteur de subsistance en 2012. L’inadéquation des compétences et la croissance limitée de l’emploi en sont les principales causes.
De plus en plus de jeunes diplômés sur un marché du travail saturé
A suivre l’article Echos du Rwanda, le marché de l’emploi au Rwanda en 2013 est un marché saturé qui peine à intégrer les milliers de jeunes diplômés issus des universités et des instituts supérieurs privés. Ces jeunes diplômés rejoignent le contingent des 200 000 nouveaux demandeurs d’emploi alors que le nombre d’emplois créés annuellement au Rwanda est de 74 000 selon la BAD.
L’une des particularités les plus frappantes est que ce chômage affecte de jeunes diplômés d’université. Le quotidien The East African évoquait en mai 2014 l’histoire de Jabil Munyengabe, 26 ans, diplômé en infographie de l’Institut de technologie de TUMBA (province du nord) qui se réveille tous les matins à 5h, se rend au centre commercial de Kigali et rentre tous les soirs à son domicile à Kimironko à 19h. Malgré cette routine, il n’a pas de travail. Il se réveille tous les matins pour aller « à la chasse aux jobs ». Dans les bons jours, il rentre à la maison avec 100 000 francs rwandais mais dans certains mauvais jours il peut rentrer sans rien. « Certains jours, quand je suis chanceux, j’ai assez d’argent pour manger, dans les mauvais jours c’est même très difficile d’avoir une aide » confie Munyengabe qui survit grâce aux commissions touchées en trouvant des acheteurs pour des marchandises de grossistes. «Ce n’est pas une activité pérenne car souvent les acheteurs ne sont pas au rendez-vous », affirme Munyengabe.
Munyengabe fait partie des cohortes de jeunes qui traînent dans le centre ville à la recherche d’hypothétique opportunité de travail. Ses parents, frustrés, lui ont demandé de quitter le domicile familial après 1 an de chômage depuis la fin de ses études en 2012; pensant qu’il était paresseux. Il affirme connaître beaucoup d’autres jeunes diplômés qui sont également au chômage.
En 2008, le quotidien rwandais Igihe citait le cas du ministère de la santé qui avait reçu 1 836 candidatures à la suite d’une offre d’emploi lancée par le ministère pour 60 postes en contrat de 2 mois pour des tâches d’archivage. Selon un employé du ministère, toutes les candidatures avaient au moins un niveau licence.
La même année, c’est l’Institut National de la Statistique du Rwanda (INSR) qui avait été obligé d’organiser les tests écrits au stade Amahoro pour les postes d’employés de codification pour le recensement général car le nombre de candidat était si important qu’une seule salle ne pouvait suffire.
Au printemps 2013, on se souvient encore que suite à une offre d’emploi de l’INSR pour 156 postes d’agents recenseurs pour une mission d’une année, cet organisme avait été submergé par 15 000 candidatures. De nombreux cas relayés par les médias rwandais mettent en évidence le fléau du chômage qui touche de plein fouet une jeunesse rwandaise fraîchement diplômée.
Le gouvernement rwandais reconnait ce problème et l’a intégré notamment dans le plan stratégique de réduction de la pauvreté et du développement économique (EDPRS) et dans le plan HANGA UMURIMO ayant pour objectif de sensibiliser les citoyens à créer eux-mêmes leur emploi. Cependant, on remarque tout de même un déficit de données statistiques sur l’évolution du chômage des jeunes au sein du ministère du travail et à l’INSR.
Le déficit de compétences des jeunes diplômés rwandais
En 2012, la politique nationale de l’emploi (NEP) met en évidence dans un rapport de la BAD qu’au moins 70 % des demandeurs d’emploi ne sont pas qualifiés pour le type d’emploi qu’ils recherchent ou ne répondent pas aux attentes des employeurs. Les données du Conseil national de l’enseignement supérieur révèlent que la majorité des diplômés universitaires de 2010 (12 717) sont issus des sciences naturelles (29 %) et de la filière littéraire et artistique (26 %) ; seuls 9 % ont suivi un cursus technique ou informatique. Un audit national des compétences mené en 2009 rapporte un déficit de compétences moyen de 40 % et d’importants écarts de compétences dans certaines catégories, dont les techniciens. La demande actuelle dépasse l’offre de 60 % dans le secteur public, privé et sans but lucratif. Ainsi, une réforme du système éducatif visant à développer des ressources humaines cohérentes avec les exigences du marché du travail rwandais reste une priorité majeure.
Les causes du chômage des jeunes au Rwanda résident à la fois du côté de l’offre et de la demande. Concernant l’offre de travail, l’audit national des compétences de 2009 a montré que l’inadéquation des compétences était l’un des principaux facteurs de chômage chez les jeunes. Le plan stratégique du secteur de l’éducation 2010-2015 donne la priorité au développement d’un système éducatif post-élémentaire mieux adapté aux exigences du marché du travail, en partie grâce à l’élaboration conjointe de programmes par les ministères concernés et le secteur privé. Il apparaît cependant que les employeurs ne se sentent pas suffisamment impliqués dans l’élaboration des programmes de la politique d’éducation informelle (EFTP). Ils recommandent d’établir un système complet de formation tourné vers l’industrie qui soit également flexible et tienne compte de l’égalité hommes-femmes.
L’État a entrepris de réformer le système de l’EFTP actuel en créant, entre autres, des centres polytechniques régionaux intégrés pour améliorer la qualité et la pertinence de l’enseignement de l’EFTP, et une autorité chargée du perfectionnement de la main-d’œuvre. Cette dernière joue un rôle réglementaire et s’occupe de la gestion du cadre de qualifications de l’EFTP, des normes professionnelles nationales, des examens et certifications de l’EFTP au niveau national, du système d’information du marché du travail et de l’incubation d’entreprises.
Le déficit de compétences n’est pas propre uniquement aux jeunes diplômés rwandais. En effet, lors du dernier sommet des universités de la communauté des États d’Afrique de l’EST (EAC) en partenariat avec la Chambre de commerce de la zone EAC, seulement 27 % des employeurs de l’EAC affirmaient avoir confiance dans la capacité des jeunes diplômés, formés au sein de l’EAC. En 2014, 50% des diplômés d’universités au sein de l’EAC ne pouvaient concourir sur le marché du travail.
Le rapport[1] issu de cette conférence indiquait également que 47% des employeurs de l’EAC considèrent que trouver des compétences adéquates est un défi majeur et par conséquent, 70 % des employeurs sont prêts à proposer des salaires plus élevés pour trouver celles-ci. De plus, un tiers des employeurs déclarent que le manque de compétences appropriées génère des coûts plus élevés, des délais non respectés et une qualité de service médiocre.
En définitive, il semble que la lutte contre le chômage des jeunes qui est endémique passera nécessairement par une réforme profonde et courageuse de l’ensemble du système éducatif. A défaut de cela et comme le rappelle Prof. Mayunga Nkunya, secrétaire exécutif du Conseil interuniversitaire de l’EAC, des milliers de jeunes diplômés inemployables continueront à affluer sur un marché du travail déjà saturé et constitueront une bombe à retardement.
Marie Umukunzi
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[1] Report from a Study Establishing the Status of Higher Education Qualifications Systems and their Contributions to Human Resources Development in East Africa.