Article d’opinion soumis pour publication par Albanel Simpemuka
La crise provoquée par la gestion du régime du CNDD-FDD et qui a culminé avec les clameurs autour du 3ème mandat arraché par Pierre Nkurunziza, menace de dégénérer en guerre civile, avec ses incertitudes et ses cruautés. Parfois, les chefs politiques décident d’aller en guerre par orgueil, désir de vengeance, entêtement, peur de l’avenir etc., sans mesurer les rapports de forces, le contexte socio-historique, ou les conséquences probables de leur décision sur la population et sur le pays. Cette réflexion se propose de rappeler les effets d’une guerre, de situer les responsabilités du régime burundais et de ses opposants, et enfin de montrer la nécessité de tout faire pour privilégier le dialogue et la négociation, pour éviter la guerre.
La guerre : quand on a tout essayé
Plusieurs penseurs ont apprécié la guerre de différents points de vue. Le général prussien Karl Von Clausewitz y voyait « la poursuite de la politique par d’autres moyens » (in De la guerre). Pour dire qu’elle est un instrument politique. Mais est-ce un instrument civilisé, raisonnable, contrôlable, juste, inévitable ?
Le psychanalyste Freud, dans sa réponse à Einstein qui lui demandait « Pourquoi la guerre ? », faisait remarquer le caractère dévastateur de la guerre. Elle aboutit à des malheurs : destruction des vies pleines de promesse, des biens, des œuvres d’art ; pillages, avilissement moral de gens qui s’entretuent alors qu’ils ne sont pas individuellement ennemis, etc. Nous savons en effet que la guerre est une régression dans la barbarie, à travers laquelle les pires instincts reviennent à la surface, faisant de l’homme une véritable brute, surtout en Afrique où le droit de la guerre tarde à être assimilé. Elle fait des charniers, des veuves, des orphelins, des infirmes, des détraqués, des disparus, des morts sans sépulture, des ennemis difficiles à réconcilier. Elle ravage les infrastructures, fait fuir les investisseurs, perturbe le système de production et de distribution, bloque le système éducatif, détruit l’économie des pays, etc., etc. C’est une horreur totale, où l’être humain devient une chose, où son visage, son regard ont perdu tout sens…Les Burundais ne le savent que trop !
Même le grand général chinois, Sun TSE, auteur de L’art de la guerre, tout en donnant des recettes pour combattre et gagner, a insisté sur la nécessité de gagner sans se battre, sans entrer en guerre. Il écrit : «…sans donner de bataille, tâchez d’être victorieux[1].» Sun TSE martèle que la guerre est un mal à éviter : on ne doit la livrer qu’à défaut d’autre chose permettant d’avoir ce qu’on veut : « En règle générale, faire la guerre n’est pas bon. Seule la nécessité doit la faire entreprendre. Quelle que soit leur issue, les combats sont funestes aux vainqueurs eux-mêmes. Il ne faut les livrer que si la guerre ne peut être autrement menée[2]. » Et il ajoute : « N’oubliez jamais que votre dessein, en faisant la guerre, doit être de procurer la paix à l’Etat et non d’y apporter la désolation. Vous avez à défendre les intérêts généraux du Pays et non vos intérêts personnels[3].» Mais, hélas, combien provoquent la guerre pour des frustrations ou des intérêts personnels ?
Rappelons enfin ces propos solennels de Barack H. Obama, lors du discours de réception du prix Nobel de la paix, le 10 décembre 2009, à l’hôtel de ville d’Oslo : «…aussi justifiée soit-elle, la guerre promet une tragédie humaine… la guerre elle-même n’est jamais glorieuse et nous ne devons jamais la présenter comme telle. C’est ainsi qu’une part de notre défi consiste à concilier ces deux vérités apparemment inconciliables – que la guerre est parfois nécessaire et qu’elle est, à un certain niveau, une expression de la folie humaine[4]. » C’est dire que la guerre, surtout la guerre civile, est et doit être la dernière chose à souhaiter et à entreprendre. Pourtant, cette chose terrible avance lentement et sûrement sa patte pour s’abattre sur le Burundi, et chaque jour, chaque matin, tel un fleuve en furie, rejette au bord des routes, dans les caniveaux…son lot de cadavres. Où va le Burundi ? A quand la fin de cette saignée de tout un peuple ?
Le régime Nkurunziza : Une violence structurelle qui pousse à résister
Parlant de la violence, Georges Gusdorf écrit dans son livre intitulé La vertu de force: « La violence est cette impatience dans le rapport avec autrui, qui désespère d’avoir raison par raison et choisit le moyen le plus court pour forcer l’adhésion. Si l’ordre humain est l’ordre de la parole échangée, de l’entente par la communication, il est clair que le violent désespère de l’humain, et rompt le pacte de cette entente entre les personnes où le respect de chacun pour chacun se fonde sur la reconnaissance d’un même arbitrage en esprit et en valeur » Telle est la violence de Pierre Nkurunziza. Elle est cousue de cette certitude qui rend fou : celle d’avoir raison sans débat ; la certitude de gagner, celle d’être dans le camp de Dieu et d’être fait pour l’éternité. Elle installe dans la guerre. Une guerre de terreur, enragée, qui tue cinq, dix, quinze Burundais par jour. Jusqu’à ce que tous les opposants disparaissent comme une poignée de farine jetée dans le vent : « Nk’ifu y’imijira » ! Mais Nkurunziza et les siens consultent-ils les pages de l’histoire récente et immédiate ? Le Major Buyoya jurait de ne jamais négocier avec des tribalo-génocidaires. Et voilà que Nkurunziza jure de ne jamais négocier avec les putschistes ! Pense-t-il bâtir avec le mortier fait de sang ? L’histoire est-elle condamnée à se répéter ?
La guerre est détestable, nous l’avons dit, mais elle peut être nécessaire si c’est la seule voie pour accéder à sa dignité. Même Gandhi, le chantre de la non-violence qui estimait celle-ci supérieure à la violence écrivait, dans Tous les hommes sont frères : « Je n’hésite pas à dire que là où le choix existe seulement entre la lâcheté et la violence, il faut se décider pour la solution violente.» Le régime de Nkurunziza ne peut tromper personne sur son caractère exclusif, intolérant, violent, kleptomane. Il est dominé par « la région cruciale de l’âme où le mal s’oppose à la fraternité ».
Le dialogue, seule chance du Burundi
La candidature et l’élection de Nkurunziza pour un troisième mandat étaient irrégulières et non démocratiques. Et leur contestation par l’opposition était et reste légitime. Toujours est-il qu’une autre guerre au Burundi le ramènerait des siècles en arrière. Et les secousses prémonitoires, les condamnations que subit ce pouvoir devraient produire des effets et le pousser à négocier avec ses opposants. Les amis du Burundi sont et seront donc bien inspirés d’encourager le dialogue, de le faciliter, de le financer et le garantir. D’ores et déjà, le CNARED (Conseil national pour le respect de l’accord d’Arusha et la restauration d’un Etat de droit au Burundi) a annoncé, dans sa Déclaration du 12 septembre 2015[5], ce qui suit : « Aujourd’hui, le leadership politique, moral, social et civil burundais doit écrire une nouvelle page de l’histoire du Burundi. C’est en négociant que cela pourra être fait pour résoudre des problèmes dont aucune des parties en présence n’est jusqu’aujourd’hui parvenue à trouver des solutions qui mettent fin à la grave crise créée par la recherche effrénée d’un troisième mandat à la Présidence de la République par Pierre NKURUNZIZA. » Et plus loin : « Il faut que la junte au pouvoir à Bujumbura soit informée que le CNARED, toujours ouvert à une négociation sans à priori, se rendra en organisation unie et forte à toute négociation et que ses représentants refuseront la division de leur représentation. » Le CNARED, en tendant la main du dialogue, fait preuve de patriotisme et de responsabilité. La balle est dans le camp de Nkurunziza et des siens.
Mais, pour que le dialogue et les négociations aient une portée réelle et prophylactique, il faudrait que le pouvoir les accepte sans exclusive et sans arrière-pensées ; que l’opposition sache négocier l’essentiel, en ayant à cœur la cause profonde du peuple burundais. Le camp présidentiel doit sortir rapidement de son hésitation et se prononcer clairement pour des négociations, notamment avec les leaders de la coalition CNARED. Car il est paradoxal qu’un parti et un Président qui se disent populaires soient allergiques à la compétition honnête et s’acharnent à fermer l’espace politique et à persécuter l’opposition. Et aussi longtemps qu’il y aura des centaines de milliers de réfugiés, des exilés, des prisonniers politiques et d’opinion, des assassinats quotidiens, aussi longtemps que les droits civils et politiques seront escamotés et bafoués, les gens vont manifester, protester et même risquer leur vie…
Certes, à première vue, les positions semblent irréconciliables : l’opposition exige le départ sans condition de Nkurunziza et la mise en place d’institutions de transition ; tandis que le pouvoir exhibe sa légalité et se dira prêt à intégrer des opposants, tout en excluant, et même en voulant juger, ceux qu’il appelle les « putschistes ». Mais, tout cela est-il essentiel et réaliste? Une fois Nkurunziza parti, est-ce la fin du système de prédation et d’exclusion ? Si Nkurunziza refuse toute discussion avec ses plus farouches adversaires, cela les empêchera-t-il de continuer de se renforcer ? Avec des forces de défense et de sécurité de plus en plus divisées, avec des généraux et des militaires en rupture de ban, avec la peur qui gagne chaque jour le camp présidentiel depuis la mort d’Adolphe Nshimirimana et l’attaque contre le chef d’Etat-Major Niyongabo, faut-il attendre que l’irréparable arrive pour négocier ? Est-il préférable de s’entretuer d’abord pour ensuite, après avoir saccagé le pays et ses maigres ressources, se rendre compte qu’il aurait fallu commencer par négocier? Il doit y avoir un terrain d’entente et c’est le devoir des gens de bonne volonté d’en explorer les périmètres. Je préfère ne pas penser qu’il existe, au Burundi, une fatalité nommée « idiotisme du métier de politicien »… Et je préfère ne pas penser qu’autour de Nkurunziza il n’y ait pas de gens qui puissent lui conseiller de cesser de tuer ses compatriotes, d’écouter les voix qui crient de partout et de saisir la main tendue par le CNARED et autres acteurs dans l’intérêt du Burundi. Au cas où il n’y en aurait pas, dans le cas où il n’y aurait que des Nyamitwe à têtes vides, les opposants n’auraient plus de choix et la guerre ne serait plus un choix mais une obligation.
Les Burundais sont devenus un peuple indomptable, allergique à l’oppression. Et celui qui l’ignore finit par l’apprendre à ses dépens !
Albanel Simpemuka
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[1] SUN TSE, L’art de la guerre, Pocket, coll. « Agora », 1993, p.24.
[2] Ibidem, p.73.
[3] Ibidem, p.74.
[4] Cité par Bob Woodward, dans Les guerres d’Obama, trad. de l’Américain par Odile Demange, Camille Fort-Cantoni, Grégory Martin et Antoine Muchnik, Denoël Impacts, 2011, p.494.
[5] Voirhttp://mporeburundi.org/declaration-du-directoire-du-cnared-apres-sa-deuxieme-reunion-tenue-a-bruxelles/.§§ 13 et 16.