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Rwanda : Le Kinyarwanda, une langue en voie de disparition

Rwanda : Le Kinyarwanda, une langue en voie de disparition
Article d’opinion rédigé par Fabrice Ndikumana

D’après l’African Languages Academy-ACALAN, plus de 34 millions de personnes dans le monde parlent le kinyarwanda. Appartenant à la famille des langues du Ruanda-Urundi du groupe des langues bantoues, le kinyarwanda est la langue nationale du Rwanda et elle est parlée par la quasi-totalité des 12 millions d’habitants qui peuplent le pays des mille collines. Pourtant, jamais le kinyarwanda n’aura semblé autant en danger.

Le kinyarwanda, vecteur d’unité nationale

kiny-eng-dictL’unité, voilà probablement ce à quoi aspirent à l’unanimité toutes les nations. Il est primordial pour un état d’avoir des piliers sur lesquels peut reposer l’unité nationale. Dans certains cas, un passé historique peut contribuer à cela, mais dans la plupart des cas, une langue commune a le pouvoir d’unifier toute une communauté. Le pouvoir d’une langue est double, elle peut soit diviser une communauté étatique, soit l’unifier. Le premier cas arrive souvent quand plusieurs langues et dialectes sont utilisés au sein d’un même pays. Dans le second cas, une langue nationale pour un pays donné peut renforcer le patriotisme, le sentiment d’appartenance à un ensemble commun ainsi que la construction et l’adhésion à une culture commune. Le cas rwandais est extrêmement complexe. En effet, le Rwanda est l’un des seuls pays d’Afrique qui a la chance (ou la malchance, selon les sensibilités) d’avoir une langue identique à l’ensemble de sa population. Malgré les divisions ethniques qui ont jalonné l’histoire du Rwanda, la présence d’une langue commune est certainement l’un des éléments qui a contribué à éviter l’éclatement total de la société rwandaise.
Ainsi, les Rwandais vivant au Rwanda et tous ceux disséminés sur tous les continents ont longtemps considéré le kinyarwanda comme le fondement de la culture et de la transmission de la connaissance. Cette vision est une conviction qui a été partagée par Julienne Uwacu, la ministre rwandaise de la Culture et du Sport, lors de son allocution à l’occasion de la fête nationale du kinyarwanda le 21 février dernier: « Être civilisé, connaître des langues étrangères, cela ne doit pas nous faire oublier notre langue. Toutes les nations qui se sont développées et qui sont économiquement riches l’ont été pour avoir tenu jalousement à leurs langues et cultures. Elles ont de puissants et éclairés dirigeants, des artistes de grande renommée qui ont construit leurs talents sur les valeurs culturelles ancestrales ». Plusieurs thématiques avaient été traitées lors de cette cérémonie, notamment les avantages pouvant découler de la mise en place sur le marché international de produits labélisés en kinyarwanda, ou encore le travail mené par l’Académie rwandaise visant à enrichir le kinyarwanda.

L’intronisation de l’anglais

Les 12 millions de Rwandais sont cependant confrontés à une nouvelle langue depuis quelques années, l’anglais. En effet, l’anglais est devenu la langue officielle de l’enseignement secondaire et celle de l’administration en 2008, et on observe dans plusieurs domaines de la vie sociétale un intérêt de plus en plus prononcé pour la pratique de l’anglais au détriment du kinyarwanda.
Langue internationale permettant une ouverture sur le monde, personne ne pourrait contester les nombreux avantages qu’apporte l’anglais. D’abord, l’anglais est sans conteste une opportunité pour les Rwandais car il leur permet de mieux communiquer avec leurs voisins ougandais et tanzaniens. Ensuite, la pratique de l’anglais est un signal positif et d’ouverture à d’éventuels investisseurs internationaux. Enfin, c’est aussi une opportunité pour un apprentissage plus accru, car la connaissance de l’anglais permet un accès à un éventail d’ouvrages et d’écrits contemporains plus large.

kabyinzozi

« Kaby’Inzozi » alors que cela devrait être « Kabya Inzozi » (rêves grand) dans une campagne de publicité de Ecobank, l’une des plus importantes banques du Rwanda


Pour autant, la pratique d’une langue étrangère devient un problème quand elle se fait au détriment de la langue nationale. Sur les routes rwandaises, il est devenu monnaie courante de retrouver des panneaux publicitaires écrits en kinyarwanda avec des fautes d’orthographe et de syntaxe, alors que ceux écrits en anglais sont quant à eux rédigés sans la moindre erreur. N’y a-t-il pas lieu de se poser des questions sur les conséquences de l’avénement de l’anglais au Rwanda ? À ce propos, on peut également observer des lacunes dans la mise en valeur de la langue. En réunion par exemple, en présence d’un acteur externe, la réunion se déroulera dans la langue de cet acteur en question. Cette action est souvent justifiée comme représentative de la culture rwandaise car elle illustre l’importance accordée à l’accueil, et de ce fait on honore la présence d’un invité externe. Cependant, cet acte de politesse ne contribuerait-il pas à la sous-valorisation du kinyarwanda ?
On pourrait croire que ce sont principalement les jeunes qui ont un attrait plus prononcé pour l’anglais au point d’emprunter de nombreux mots anglais quand ils parlent le kinyarwanda. Mais aujourd’hui, on observe au Rwanda que toute personne qui parle le kinyarwanda en insérant des mots anglais est perçue comme un intellectuel ou une personne de haut rang. Il n’est donc pas rare de voir des gens qui ont habituellement une parfaite locution en kinyarwanda angliciser leur discours. Le Président de la République, Paul Kagamé, n’est lui non plus pas exempt de tout reproche. Rares sont les discours qu’il tient entièrement en kinyarwanda. Même quand il s’adresse à une assemblée de paysans en pleine campagne, ses phrases se caractérisent souvent par un kinyarwanda mélangé à de l’anglais.

Le kinyarwanda symbole de l’identité rwandaise dans un monde globalisé

Le kinyarwanda a survécu aux divisions qui ont endeuillé le Rwanda. Malgré les divisions ethniques, régionalistes et politiques qu’a connues le pays des mille collines, tous ses enfants se sont toujours retrouvés autour des « imigani » (contes), « imigani migufi » (proverbes), « incamarenga » (dictons), « ibisakuzo » (devinettes) qui font la beauté du kinyarwanda. Si le socle commun que forme la langue nationale venait à disparaître, que deviendrait cette unité fragile et difficile à trouver qui fait tant défaut à la société rwandaise ?
Le kinyarwanda ne ralentira pas le Rwanda dans son apport au continent africain ou à l’humanité, il y apportera au contraire une plus-value. Cette langue est symbole d’une identité, d’une histoire, d’une culture et d’un art de vivre. Alors que l’African Languages Academy nous apprend qu’elle réunit aujourd’hui plus de 34 millions de locuteurs dans le monde, n’est-ce pas une raison suffisante pour lui redonner de la valeur ?
En ce 21ème siècle, le singulier tend à la globalisation. L’avènement d’une culture standardisé tend à détruire les particularités. Il tend également à détruire la richesse qu’apportent la différence et la singularité. Dans un monde parfait, chaque pays pris singulièrement apporterait une plus-value à la communauté internationale. Mais si les Rwandais perdent l’intérêt dans la pratique du kinyarwanda, pourtant pilier de leur culture, quelle sera alors leur plus-value au sein de cette communauté internationale ?

Article rédigé par Fabrice Ndikumana
Edité par Norman Ishimwe
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