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Du Rwanda à la RDC : le périlleux parcours d’un enfant réfugié

Du Rwanda à la RDC : le périlleux parcours d’un enfant réfugié

A l’occasion de la journée mondiale de réfugiés, célébrée ce mercredi 20 Juin 2018, Jambonews a rencontré Alphonse, un jeune réfugié rwandais vivant à Bruxelles. Alphonse allait avoir 9 ans en 1994 lorsqu’il a quitté le paradis de Kigali pour se retrouver dans l’enfer de Kisangani. Dans cet entretien, Alphonse revient sur le périlleux parcours qu’il a effectué alors qu’il n’était âgé que de neuf ans. Au travers de son récit et de ses souvenirs d’enfant, Alphonse nous permet de comprendre les conditions de vies dans les camps réfugiés rwandais de l’Est de la RDC de la fin des années 90.  

Première fuite : du Rwanda à la RDC

Alphonse vient d’une famille de trois enfants. En 1994, il vivait à Kigali avec sa mère sa sœur et son petit frère,  leur père étant décédé.  Quand  la guerre éclate dans leur quartier de Kigali, sa famille et lui prennent la fuite vers Kibuye chez leur grand-mère maternelle. Le trajet se fit en voiture, sa famille protégea leur innocence de telle sorte qu’ils n’ont pas réalisé ce qui était en train de se passer. « Nous étions dans une voiture et n’étions pas autorisés à regarder par les vitres…afin de ne pas voir les atrocités qui se passaient. Nos parents ont tout mis en œuvre pour que nous n’ayons pas  à constater les atrocités par nos  yeux ». De ce fait Alphonse n’a pas gardé de traumatisme particulier par rapport à la guerre et le génocide perpétré contre les tutsis en 1994.
Avec l’avancée du FPR qui commettait des exactions sur la population civile au fur et à mesure de son avancée, la population se déplaça à l’Est du Zaïre, devenu aujourd’hui République démocratique du Congo.  Alphonse et sa famille commencèrent par s’installer dans un camp des réfugiés à Bukavu. Même si il n’était encore qu’un enfant, Alphonse garde des souvenirs précis de souvient ce camp de fortune, improvisé. Les réfugiés n’étaient pas lotis au même niveau, certains avaient fui sans rien et d’autres équipés. Ce fut le cas de sa famille, ils avaient toujours leur voiture à Bukavu : « nous avions la chance d’être partis avec quelques matériels ».
Le HCR (Haut-Commissariat pour les réfugiés) a fini par orienter les réfugiés dans des camps plus appropriés. Les camps les plus connus à Bukavu étaient : Inera 1 & 2, Kashusha, Adi Kivu, Shabarabe…
Alphonse fût dirigé vers le Camp de Kashusha en compagnie de sa famille.  A son arrivée dans le camp de Kashusha, il y avait déjà des réfugiés et petit à petit l’installation commençait. Le camp était subdivisé en plusieurs parties portant les noms des anciennes préfectures du Rwanda : Kigali, Gitarama, Butare… Les réfugiés étaient pris en charge par le HCR et d’autres organismes :

  • des tentes étaient distribuées ce qui a permis aux réfugiés de construire des huttes ou petites maisonnettes, avec des sanitaires et cuisinettes propres à chaque famille,
  • Des ratios alimentaires étaient distribués,
  • Une partie des réfugiés s’étaient lancée dans des projets locaux (construction, commerce, agriculture …),
  • Une école était construite dans le camp d’Inera avec l’aide du HCR. Alphonse fréquentait cette école tous les jours, il nous en touche quelques mots « L’école était au sein du camp, faite par des réfugiés et pour des réfugies. Les enseignants étaient des réfugiés, c’était organisé avec l’aide du HCR et d’autres organismes. A l’école nous apprenions les langues, les mathématiques, l’histoire, les matières étaient diversifiées comme au Rwanda. A midi, les repas étaient distribués à l’école. La différence avec le Rwanda est que les écoles étaient des tentes, on s‘asseyait parfois par terre, chaque enfant se débrouillait pour avoir un endroit où s’asseoir, certains pouvaient avoir des petites chaises….»

En résumé, partis de rien, en l’espace de quelques mois, les réfugiés avaient trouvé leur rythme et la vie reprenait son cours. Alphonse vivait au jour le jour,  sans réaliser ce qu’il se passait «à cet âge-là,  je ne pouvais pas comprendre ce qui était en train de se passer, je n’avais pas conscience de vivre dans un camp des refugiés, d’avoir quitté le Rwanda et que la vie n’était pas aussi rose ».
Sur l’aspect sécurité, Alphonse nous explique qu’elle était garantie «Il y avait des forces de l’ordre envoyés par le gouvernement du Zaïre, je me souviens qu’il y avait au milieu du camp, un petit camp où résidaient des forces de l’ordre zaïrois ; Nous  les appelions des contingents de sécurité, habillés en orange, ils assuraient la sécurité sur le camp.  Ils étaient armés, circulaient sur le camp pour s’assurer que tout se passe bien. Il y avait aussi un petit cachot dans leur camps, ils pouvaient attrapés les malfaiteurs et les enfermer là-bas ».

Seconde fuite : la première guerre de la République Démocratique du Congo

Quand la guerre arrive à Kashusha vers la fin de l’année 1996, Alphonse nous explique que ce fut brutal et soudain. Un matin, en se rendant à l’école, ils trouvèrent le poste de garde vide, les contingents de sécurité n’étaient plus là, ils virent des cadavres à l’intérieur du poste de garde. Ils ne savaient pas qui les avait tués : «Nous avons quitté l’endroit pour continuer vers le chemin de l’école, tout d’un coup nous avons entendu de coups de feu. C’était très violent, tout le monde est parti en courant, moi, mon petit frère et ma sœur sommes rentrés chez nous retrouver notre famille. Nous nous  sommes organisés pour quitter le camp sur le champ ».
Ils ont vu de la fumée à l’autre bout du camp, et un mouvement de panique s’en est suivi. Tout le monde est parti en courant. Les réfugiés se sont déplacés vers le nord, après une marche de 2 à 3 jours ils sont arrivés à Nyabibwe.
A Nyabibwe habitaient des rwandais installés depuis très longtemps, ces derniers ont aidés les réfugiés à s’installer provisoirement et se reposer dans l’espoir d’une accalmie.
Une dizaine de jours après leur arrivée, dans la nuit, les réfugiés ont encore entendu des coups de feu. Ils ont dû fuir à nouveau et ont emprunté un trajet montagneux.  Ils grimpèrent les montagnes jusqu’à Shangi.
Alphonse se souvient que Shangi fut une terre inhospitalière pour les réfugiés : il y avait beaucoup de pluie et de foudres et beaucoup de personnes moururent foudroyées. Dans le chaos provoqué par la fuite et les mauvaises conditions climatiques, Alphonse a perdu toute trace de sa famille. De lors, il se retrouva à marcher seul au milieu de la foule : «J’avais 11 ans, j’avais l’impression que les choses s’envenimaient, je sentais que cela allait être plus grave que je ne l’avais imaginé, j’ai eu peur.  C’est à Shangi que j’ai  personnellement perdu ma famille, je n’ai pas su où ma famille était partie. Il  y avait beaucoup de pluie, les coups de feu, la foule et j’ai perdu la trace de ma famille. A 11 ans, je me suis retrouvé tout seul, j’ai marché tout seul pendant plusieurs mois. J’ai marché seul de Shangi jusqu’à Kisangani, situé à quelques centaines de km plus loin, plus au nord. Je marchais en suivant la foule sans savoir où j’allais et ce pendant plusieurs mois ».
Pour Alphonse, la survie se fit au jour le jour : pour s’alimenter, il a dû se débrouiller seul, parfois il pouvait compter sur  l’aide des autres réfugiés ou passer une journée sans du tout s’alimenter. La solidarité entre les réfugiés l’a beaucoup marqué, ils se prêtaient de casseroles, certains lui donnaient parfois à manger ou le prenaient parfois en charge.

Sur le trajet, il fallait compter sur sa chance pour ne pas tomber malade, les malades restaient sur le chemin pour mourir et le reste continuait à avancer. Alphonse nous raconte la fois où a lui-même été touché par la maladie : « Je suis tombé malade seulement une fois, je crois que j’avais attrapé la malaria, j’avais froid et la nausée, je ne pouvais pas marcher, mais je n’ai pas pris de médicaments, heureusement Dieu m’a aidé et la malaria est partie toute seule ».


Ce qu’il a sauvé est que sa maladie est arrivée au moment où la marche était plus lente, entre Shangi et Walikale, il a pu donc reprendre le trajet après sa guérison. « Les attaques arrivaient par à-coup et il arrivait que la foule court pendant 2 à 3 jours et après cela se calmait et la foule tranquillisait la marche pour se reposer »
Sur le trajet, Alphonse ne s’est jamais découragé, il pensait beaucoup à sa famille et espérait les retrouver, il n’a jamais pensé à la mort, il ne s’est jamais senti menacé. « Je voulais les retrouver un jour ».
Les conditions de vie étaient précaires, en guise de couverture, Alphonse se servait d’un blouson qu’il avait sur lui. Il nous déclare avoir gardé les mêmes vêtements pendant un an, de Kashusha à son retour au Rwanda !  « J’ai porté les mêmes vêtements pendant une année, un short bleu, une chemise et un jacket, j’ai porté les mêmes  vêtements jusqu’à mon retour au Rwanda ».
Alphonse nous raconte aussi que, les plus vulnérables dans ces conditions furent des enfants. Il a vu beaucoup de cadavres : « il y en a qui mourraient de maladie ou de fatigue, il y en a qui mourraient de pluie (en période de pluie : il pouvait pleuvoir pendant une semaine sans arrêt). Les plus vulnérables furent les enfants de mon âge ou plus jeunes, ils sont nombreux à être morts de fatigue, cela m’a fait énormément de mal. Ce qu’il faut comprendre est que nous ne connaissions pas le chemin, de ce fait nous pouvions tourner en boucle. Par conséquent, j’ai vu et connu beaucoup d’enfants morts. Les ayants laissé sur le chemin fatigué, au détour d’une boucle j’ai vu leurs cadavres dans des caniveaux ».
Sur les autres conditions de fuite, Alphonse nous indique que les réfugiés étaient très nombreux, il se rappelle aussi de différentes étapes : Kashusha, Nyabibwe, Shangi, Walikale, Tingi Tingi, Biaro, Kisangani. A titre d’exemple, ils se sont arrêtés pendant quelques mois à Tingi Tingi. Par chance, il y a croisé sa tante, la petite sœur de sa mère, qui était avec son mari et sa fille. Ils sont restés ensemble.
Les conditions de vie à Tingi Tingi étaient nettement plus dégradées que celles de Kashusha :
« C’était pire, car les conditions n’étaient pas les mêmes, c’était improvisé, les gens abattaient les arbres pour trouver un endroit où s’abriter, pour construire des petites huttes pour ceux qui avaient la chance d’avoir encore des tentes. Nous sommes restés là-bas pendant quelques mois et puis cela a permis au HCR et quelques associations de nous retrouver sur place. Ils  nous ont  apporté de l’aide, nous avons pu avoir accès aux médicaments et de la nourriture. Il y avait une grande route qui avait été tracée pour permettre aux petits avions d’atterrir dessus. Je me souviens de cela, il y avait des petits avions qui apportaient la nourriture et des médicaments, ils atterrissaient sur le tarmac ».
Le départ de Tingi Tingi, fut douloureux, contrairement aux autres fuites, les réfugiés avaient été avertis que le camp allait être attaqué. Une partie des réfugiés prit les devant et partit. Pour Alphonse et sa famille, cela ne fut pas possible : sa tante était malade et ne pouvait pas marcher. Elle était alitée dans le petit dispensaire de Tingi Tingi.
Après avoir tergiversé, jusqu’à la dernière minute son oncle dût se résigner à la laisser seule allongée à l’arrivée des assaillants. Depuis ce jour, ils n’ont plus jamais eu de nouvelles de leur tante. .

Camp de réfugiés de Tingi-Tingi


Les circonstances de chaque fuite étaient toujours les mêmes, des tirs, de la fumée. Alphonse pense que les militaires qui les poursuivaient restaient un petit moment à chaque endroit pour nettoyer : « ils insistaient pour tout détruire, tout bruler, ils brulaient les huttes, ils brulaient les maisonnettes, ils ne nous poursuivaient pas en courant, mais en brulant ».
Il a continué la fuite et a fait une étape au camp de Biaro, tristement célèbre connu pour de nombreuses atrocités qui y ont été commises contre les réfugiés. Il a fini par arriver  Kisangani, où il a croisé un ami de sa famille, qui avait fait le même trajet que lui. Cet ami l’aida et l’amena auprès de Save the Children, un organisme qui vient en aide aux enfants abandonnés. Save the Children prit soin de lui et le rapatria au Rwanda.

Retour au Rwanda et dernière fuite : la lutte pour la mémoire, la reconnaissance et la justice

Arrivé au Rwanda, Alphonse a été pris en charge par les nouvelles autorités et le CICR. Il a pu se souvenir de son identité et celle de sa mère, il put les communiquer au CICR. Il se souvient qu’une partie des enfants avaient oublié ces informations primordiales.  Il fit le tour des orphelinats du Rwanda jusqu’au 10/05/1997, le jour où sa mère vient le chercher dans l’orphelinat de Kibuye. Il se remémore cet instant : « c’était énorme, je me suis senti revivre, je me suis senti comme renaitre, la première chose que j’ai faite c’est de raconter, raconter…c’est la première personne à qui je pouvais raconter ce qui m’était arrivé, c’était comme un film. Je lui ai raconté pendant 2 à 3 jours sans m’arrêter ».
Par la suite, il apprit ce qui était arrivé à sa famille. A Shangi quand sa famille arriva sur le pont, qui permettait de traverser la grande rivière et de continuer la route, les militaires qui les poursuivaient coupèrent le pont et regroupèrent les réfugiés sur place. Les hommes et les garçons d’un certain âge, supérieur à 15 ans firent séparés du reste et furent tués. Le reste composé de femmes, enfants et personnes âgées firent rapatriés au Rwanda.

Un des chemins empruntés par les réfugiés rwandais vers l’intérieur du Zaïre. Ceux-ci sont communément appelés « Inzira ndende » ce qui signifie « la longue route »


Sa famille mit quelques années à récupérer leur maison, à part cela la réinstallation au Rwanda se passa bien en apparence.
Alphonse mit des années à comprendre ce qui lui était arrivé, « le temps de grandir » nous dit-il. Il a compris que les réfugiés étaient majoritairement des hutus, poursuivi par le FPR suite au génocide perpétré contre les tutsis en 1994.
Après avoir lu les ouvrages et rapports, après avoir écouté les différentes radios et analysé par lui-même, il comprit que même si certaines choses s’étaient améliorées au Rwanda, il reste un problème, celui de la non reconnaissance du calvaire vécu par les réfugiés dans l’Est du Congo et de l’interdiction d’évoquer leur histoire.
Durant toute la période ou il était de retour au Rwanda, Alphonse n’a jamais essayé de raconter son histoire, il savait que c’était risqué car deux de ses camarades qui ont essayé, se sont retrouvés accusés de négationnisme, ont été emprisonnés avant de finir par fuir le Rwanda. Alphonse a lui-même perdu deux tantes et leurs enfants, il pense que si l’histoire était correctement racontée, il aurait pu en apprendre plus sur les circonstances de leurs morts.  Il nous raconte aussi que : « ce qui est reconnu au Rwanda, c’est le génocide commis contre les Tutsis en 1994, pour le reste, rien n’est dit, il y a rien, rien ne s’est passé, l’on ne dit rien. Il y a beaucoup de gens, beaucoup des familles qui ont connu ces atrocités et qui sont obligées de vivre avec cela, de taire leur chagrin ».
Alphonse a quitté le Rwanda en 2011 et depuis est à nouveau réfugié en Belgique.
Aujourd’hui, aux enfants réfugiés, il leur dit de ne pas baisser les bras : « Il est très important de garder la mémoire et de chercher à rectifier au maximum, de chercher à trouver justice, ne pas laisser les dictatures comme dans notre pays essayer de manier l’histoire, essayer de maquiller l’histoire à leur gré ».
Alphonse considère la justice comme étant la clef d’une cohabitation pacifique : « ce qui me préoccupe est qu’un jour au Rwanda  tout le monde connaisse la justice, pour que la population rwandaise vive en paix et cohabite tranquillement ».
Aujourd’hui ils seraient 200 000 à 240 000 réfugiés rwandais ayant fui le Rwanda en 1994 et vivant toujours en république Démocratique du Congo, et environ 10 000 réfugiés vivant au Congo Brazzaville. Une grande majorité de ces réfugiés sont des enfants n’ayant jamais connu le Rwanda. La situation de ces réfugiés est préoccupante car depuis la clause de cessation du statut de réfugié rwandais, en application depuis le 31/12/2017, beaucoup de ces réfugiés se retrouvent dans une situation de non-droit et sans aucune protection.

Constance Mutimukeye
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