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RDC – Denis Mukwege: « Prenons notre destin en mains »

RDC – Denis Mukwege: « Prenons notre destin en mains »

Le docteur Denis Mukwege a reçu le prix Nobel de la Paix ce 10 décembre 2018. Dans son discours de remise du prix, il a appelé la communauté internationale à enfin considérer le rapport du Projet Mapping et ses recommandations. C’est l’une des conditions nécessaires pour qu’il y ait la paix durable en République démocratique du Congo (RDC) car explique-t-il, « Seule la lutte contre l’impunité peut briser la spirale des violences ».

Au nom du peuple congolais

Denis Mukwege a commencé par conter les atrocités dont il a été témoin depuis cette nuit tragique du 6 octobre 1996, nuit durant laquelle l’hôpital de Lemera fut attaqué par des rebelles tuant à bout portant ou de sang-froid, les patients et le personnel qui ne pouvait pas fuir.

Denis Mukwege lors de son discours de remerciement


Obligés de quitter Lemera, c’est trois ans plus tard qu’il a fondé, avec des collègues, l’hôpital de Panzi où il exerce aujourd’hui comme gynécologue obstétricien. Dans ce nouvel hôpital la première patiente fut une victime de viol qui avait reçu un coup de feu dans les organes génitaux. Pour les habitants du village de Kavumu, cette victime fut malheureusement la première d’une longue série qui n’a pas épargné les bébés, les filles, les femmes, les grand-mères et parfois même les hommes : « La violence macabre ne connaissait aucune limite, cette violence ne s’est malheureusement jamais arrêtée». Le Dr Denis Mukwege poursuit en déplorant l’absence d’un Etat de droit dans son pays, supposé protéger la population : « C’est devenu notre nouvelle réalité en RDC, ce qui s’est passé à Kavumu, et qui continue aujourd’hui dans de nombreux autres villages au Congo, tels que les viols et les massacres à Beni et au Kassaï, a été rendu possible par l’absence d’un Etat de droit, l’effondrement des valeurs traditionnelles et le règne de l’impunité en particulier pour les personnes au pouvoir. »
En dénonçant une spirale des violences sans précédent, l’ « homme qui répare les femmes » fait le bilan de ces atrocités : « Le bilan humain de ce chaos pervers et organisé a été des centaines des milliers de femmes violées, plus des quatre millions des personnes déplacées à l’intérieur du pays, et la perte de 6 millions de vies humaines. Imaginez l’équivalent de toute la population de Danemark décimée. » Et de conclure sur cette partie, « Seule la lutte contre l’impunité peut briser la spirale des violences».
Mukwege a alors dit accepter le prix Nobel de la paix au nom du peuple congolais et le dédier à toutes les victimes des violences sexuelles à travers le monde. Cette annonce a été accueillie par une salve d’applaudissements. Il souligne avec conviction le paradoxe de la République démocratique du Congo : « Je m’appelle Denis Mukwege, je viens d’un pays, le plus riche de la planète, pourtant le peuple de mon pays est parmi les plus pauvres du monde. La réalité troublante est que l’abondance de nos ressources naturelles, or, coltan, cobalt et d’autres minerais stratégiques, alimente la guerre source de la violence extrême et de la pauvreté abjecte en RDC. »

Appel à des consommateurs plus concernés

Dans la deuxième partie de son discours, le docteur a appelé le monde à une prise de conscience collective. En s’adressant aux consommateurs, il souligne qu’il est normal d’aimer les belles voitures, les beaux téléphones mais leur demande d’être vigilant quant à la provenance des matériaux qui servent à fabriquer ces objets ou sur leurs conditions de fabrication. «En tant que consommateurs, le moins que l’on puisse faire est d’exiger et d’insister que ces produits soient fabriqués dans le respect de la dignité humaine. Fermer les yeux devant les drames c’est être complice. Ce ne sont pas seulement les auteurs des violences qui sont responsables de leurs crimes, mais aussi ceux qui choisissent de détourner le regard.»

Appel à la communauté internationale

Mukwege axe la dernière partie de son discours sur la responsabilité de la communauté internationale : « Mon pays est systématiquement pillé avec la complicité des gens qui prétendent être nos dirigeants. Le peuple congolais est humilié, maltraité, massacré depuis plus de deux décennies au vu et au su de la communauté internationale. Aujourd’hui grâce aux nouvelles technologies d’information et de communication, plus personne ne peut dire je ne savais pas. »
Il demande à la communauté internationale de ne pas seulement donner le prix Nobel de la paix au peuple congolais mais d’agir pour apporter la paix en RDC. Il s’interroge sur la construction de cette paix : « Mais comment construire la paix sur des fosses communes ? Comment construire la paix sans vérité ni réconciliation ? Comment construire la paix sans justice ni réparation ? Au moment où je vous parle, un rapport est en train de moisir dans les tiroirs d’un bureau à New York. Il a été rédigé à l’issu d’une enquête professionnelle etrigoureuse sur les crimes de guerres et violations des droits humains perpétrés au Congo. Cette enquête nomme explicitement des victimes, des lieux, des dates mais élude les auteurs ».

Le rapport du Projet Mapping

Le rapport dont parle le docteur Denis Mukwege est plus souvent référencé sous sa dénomination en anglais, le Mapping Report[1]. Ce projet mené sous la gouvernance du Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) avait trois objectifs[2] :

  • dresser l’inventaire des violations les plus graves des droits de l’Homme et du droit international humanitaire commises sur le territoire de la RDC entre mars 1993 et juin 2003 ;
  • évaluer les moyens dont dispose le système national de justice pour donner la suite voulue aux violations des droits de l’homme qui seraient ainsi découvertes ;
  • élaborer, compte tenu des efforts que continuent de déployer les autorités de la RDC et du soutien de la communauté internationale, une série de formules envisageables pour aider le gouvernement de la RDC à identifier les mécanismes appropriés de justice transitionnelle permettant de traiter les suites de ces violations en matière de vérité, de justice, de réparations et de réforme.

Publié en octobre 2010, le rapport a durant un court moment donné l’espoir aux victimes de voir justice rendue. Sur le contenu du rapport, le nouveau prix Nobel synthétise : « Ce rapport du Projet Mapping établi par le Haut-Commissariat des Nations-Unies aux droits humains décrit pas moins de 617 crimes de guerre et crimes contre l’humanité et peut-être même des crimes de génocide, qu’attend le monde pour qu’il soit pris en compte ? Il n’y a pas de paix durable sans justice, or la justice ne se négocie pas. »

Il demande au monde d’avoir le courage d’agir pour la région des Grands Lacs : « Ayons le courage de jeter un regard critique et impartial sur les évènements qui sévissent depuis trop longtemps dans la région des Grands Lacs, ayons le courage de révéler les noms des auteurs des crimes contre l’humanité pour tout simplement éviter qu’ils continuent d’endeuiller cette région martyre, ayons le courage de reconnaitre nos erreurs du passé, ayons le courage de dire la vérité et effecteur le travail de mémoire. Chers compatriotes congolais, ayons le courage de prendre notre destin en main, construisons la paix… Construisons un meilleur avenir pour l’Afrique, personne ne le fera à notre place. »

La guerre contre l’indifférence

Pour le docteur Denis Mukwege, si le monde souhaite que ce prix Nobel change quelque chose, la seule guerre à mener est celle contre l’indifférence. « Il y a une seule guerre à mener : la guerre contre l’indifférenceNous sommes tous redevables devant ces femmes et leurs proches et nous devons tous nous approprier ce combat, y compris les Etats qui doivent cesser d’accueillir les dirigeants qui ont toléré ou pire utilisé la violence sexuelle pour accéder au pouvoir. Les Etats doivent cesser de les accueillir avec le tapis rouge et doivent plutôt tracer une ligne rouge contre l’utilisation du viol comme arme de guerre. »
Il demande aux Etats d’avoir la volonté politique d’agir en dressant une ligne rouge qui se définirait comme « des sanctions économiques, politiques et des poursuites judiciaires ».
Il conclut son discours en faisant des demandes fortes à la communauté internationale, ainsi qu’à la responsabilité collective :

  • Soutenir la création du fond mondial des réparations pour les victimes des violences sexuelles dans les conflits armés,
  • Considérer enfin le rapport du Projet Mapping et ses recommandations, afin que« le droit soit dit», et cela « au nom des de toutes les veuves, de tous les veufs, des orphelins des massacres commis en RDC et de tous les Congolais épris de paix », pour permettre au peuple congolais de « pleurer ses morts, faire son deuil, pardonner ses bourreaux, dépasser sa souffrance et se projeter sereinement dans le futur ».

Ambiance à l’extérieur de la salle


Avant le docteur Denis Mukwege, c’est Human Rights Watch qui avait demandé aux Etats de tout mettre en œuvre pour lutter contre l’impunité des auteurs des crimes commis en RDC : «Les gouvernements à travers le monde devraient intensifier les efforts visant à traduire en justice les responsables des exactions graves décrites dans le rapport du Projet Mapping publié en octobre 2010 par les Nations unies ».[3]
Ce discours de Denis Mukwege souligne l’importance de lutter contre l’impunité qui sévit dans la région des Grands Lacs d’Afrique depuis plus de deux décennies, et il est prononcé le jour où la Déclaration universelle des droits de l’Homme comme la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide célèbrent leurs 70 ans. La seconde stipule entre autres que « les Parties contractantes confirment que le génocide, qu’il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime du droit des gens, qu’elles s’engagent à prévenir et à punir ». Ce prix Nobel de la paix présage-t-il enfin le temps de la justice pour toutes les victimes dans la région ?
Constance Mutimukeye
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[1]https://www.ohchr.org/documents/countries/cd/drc_mapping_report_final_fr.pdf
[2]https://www.ohchr.org/fr/countries/africaregion/pages/rdcprojetmapping.aspx
[3]http://www.jambonews.net/actualites/20111015-rd-congo-un-an-apres-le-mapping-repport-de-l%e2%80%99onu-quel-bilan/

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