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Rwanda : Le FPR se remettrait-il à la politique ?

Rwanda : Le FPR se remettrait-il à la politique ?

La république rwandaise a été proclamée le 28 janvier 1961. Elle a ensuite été confirmée par un référendum populaire tenu le 25 septembre de la même année. Pendant ses 60 années d’existence qui seront célébrées l’année prochaine, la république n’aura connu que quelques périodes très courtes de vraie vie politique. Ces années ont été surtout marquées par de nombreuses occasions manquées de concrétiser l’idéal républicain du début.

Les débuts : 1961 – 1964

Le 25 septembre 1961, en même temps que le référendum sur la monarchie, les Rwandais devaient aussi élire leurs députés pour la première fois au suffrage universel direct.

Sur les 44 sièges de ce premier parlement, le MDR-Parmehutu[1] en gagna 35 avec 77,58 % des voix, l’Union national rwandais (UNAR)[2] eut 7 sièges avec 16,87 % des voix, l’Association pour la promotion sociale de la masse (APROSOMA)[3] ne gagna que 2 sièges avec 3.56 % des voix. Le Rassemblement Démocratique du Rwanda  (RADER)[4] avec un score de 0,33 % n’avait pas assez de voix pour obtenir un siège au parlement. 

Durant cette première législature, la menace des attaques des monarchistes Inyenzi combinée à une certaine inexpérience politique des acteurs du moment aboutirent à la disparition de tous les autres partis à l’exception du Parmehutu. On peut même dater la fin du multipartisme : le 24 décembre 1963, avec l’exécution des leaders de l’UNAR et du RADER suite à l’attaque des Inyenzi du 20 décembre 1963 au Bugesera. 

Lors des élections suivantes en 1965, le MDR-Parmehutu rafla tous les sièges du parlement. Devenu parti unique de facto et n’ayant plus de véritables adversaires politiques, le Parmehutu se retrouva miné par des luttes intestines qui aboutirent à la crise de 1968 et l’exclusion de plusieurs de ses cadres « déviants » dans ce qui a été appelé le phénomène de « Guta umurongo » ou déviationnisme[5]. Après cet épisode, la suite n’allait être qu’une lente agonie jusqu’au coup de grâce du 05 juillet 1973 avec la prise de pouvoir par le général Juvénal Habyarimana. Le coup d’Etat de 1973 sera suivi par une longue période de monopartisme officiel jusqu’en 1991.

1991 – 1993 : Le vent de l’Est arrive aussi au Rwanda

La chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989 entraîna des changements géopolitiques qui se sont traduits en Afrique par la fin des partis uniques.  Partout en Afrique les peuples réclamaient plus de liberté et de participation politique.

Le Rwanda ne fut pas épargné par ces changements et le Général Juvénal Habyarimana finit par accepter le multipartisme en 1991 sous la pression du Zeitgeist et de la guerre.

Cette période, quoique très brève, fut d’une effervescence politique encore inégalée à ce jour. À la fin de l’année 1992, il s’était créé un nombre impressionnant de partis politiques et de journaux de toutes tendances.

Aujourd’hui, 30 ans après et avec le recul de celui qui connaît la fin de l’histoire, il est devenu sage de dire qu’avec 25 années de monopartisme, des politiciens novices qui voulaient jouer aux apprentis sorciers, des journalistes-pyromanes et une guerre civile en cours dans le nord du pays, il était impossible que l’issue de cette période soit autre que l’horreur que le Rwanda a connue en 1994.

1995 – 2000 : Espoir vite déçu

Après la guerre, le pays se remit tant bien que mal à revivre, un gouvernement dit d’union nationale fut mis en place le 19 juillet 1994 et un parlement de transition prêta serment le 25 novembre 1994.

Au début, ce parlement essaya de fonctionner comme un vrai parlement. Malgré la situation que connaissait le pays, il y avait encore de vrais débats politiques avec des opinions divergentes et les grands partis comme le Mouvement démocratique républicain (MDR)[6], le Parti social-démocrate (PSD)[7] et le Parti libéral (PL)[8] essayaient encore de vivre et de rester indépendants par rapport au Front patriotique rwandais (FPR). Mais le FPR n’avait aucune intention de partager avec quiconque les dividendes de sa victoire militaire. Tout le monde devait juste se contenter des miettes qu’on voulait bien lui laisser. Le voile finira par tomber avec la prise du pouvoir par le général Paul Kagame le 17 avril 2000.

À partir de ce moment-là, le FPR gela la vie politique au Rwanda, les partis furent regroupés dans un forum des partis politiques dirigé par le secrétariat du FPR, tout discours politique ne devait servir qu’à soutenir et louer le président Kagame. Le FPR arrêta d’agir en parti politique ordinaire. Petit à petit il s’insinua dans tous les rouages de l’État et de la vie sociale qu’il a fini par contrôler totalement, à tel point qu’il est aujourd’hui impossible de faire la différence entre le FPR et l’État. La réalité politique du Rwanda en 2020 est celle d’un état et d’une société civile vampirisés par le parti au pouvoir, toute la vie politique et sociale est contrôlée par l’état sur le modèle du « Tout dans l’État, rien hors de l’État, rien contre l’État ! »[9]

Quand le bureau politique élargi du FPR se réunit, il y a dans la salle le président de la république, tout le gouvernement, le parlement, les chefs de l’armée et de la police, certains leaders religieux, et même les leaders des autres soi-disant partis du gouvernement. À y regarder de plus près, le FPR est aujourd’hui plus proche d’une religion que d’un parti politique.

2020 : Nouveau départ ?

Nous voilà enfin en 2020 dont les concepteurs de la « Vision 2020 » devaient sans douter se dire qu’elle était très loin, qu’on n’y arriverait peut-être jamais et que le bilan de la vision ne serait jamais fait. Or le bilan est accablant : 20 années de culte de la personnalité et de béni-oui-ouisme ont fait des ravages au niveau politique et social. Il n’y a tout simplement pas de vie politique au Rwanda. 

La politique de l’État total se retrouve aujourd’hui dans une impasse, la nouvelle génération de jeunes adultes nés après 2000 et qui a grandi avec internet étouffe littéralement. Elle est plutôt tournée vers le futur et voit aussi ce qui se passe ailleurs. Elle commence donc à poser des questions pour lesquelles la vielle garde n’a ni réponses, ni même l’imagination nécessaire pour en inventer. Les vieilles recettes du type nous avons sauvé le pays ou le mirage économique dont ces jeunes entendent parler mais ne profitent pas, ne suffisent plus. La réalité a fini par s’imposer à tous, le citoyen rwandais, même en faisant un grand effort d’auto-aveuglement voit bien que les discours officiels sur les progrès économique ou sociaux sont diamétralement opposés à sa réalité du quotidien.

L’illustration la plus pathétique en est le parlement national, en cette année de pandémie mondiale, le parlement rwandais, qui est censé être le lieu où la politique nationale est discutée, a disparu pendant des mois. Il n’est sorti de sa torpeur qu’au cours de l’été, non pas pour se pencher sur les problèmes sociaux engendrés par la gestion calamiteuse de la pandémie par le gouvernement, mais pour examiner le cas d’une Rwandaise désignée pour faire partie d’un groupe d’experts qui doivent conseiller une commission parlementaire belge. Et comme si cela ne suffisait pas, notre parlement est allé jusqu’à envoyer une protestation officielle à leurs homologues belges qui doivent encore sûrement se demander si tout ça n’était pas un canular. Mais comme au Rwanda, les institutions hors FPR n’ont plus aucun sens, on a vu Monsieur Iyamuremye Augustin, président du sénat, confirmer avoir envoyé cette lettre de la honte, et cela lors d’une réunion présidée par Madame Jeannette Kagame, par ailleurs Première dame dans ce même parlement qui ne semble décidément pas savoir quel est le rôle d’un parlement dans une république.

Monsieur Iyamuremye et ses collègues, au lieu d’organiser des débats pour savoir qui a fréquenté l’école avec le père de Laure Uwase, ou sur le fait que Madame Uwase et ses collègues auraient tété une quelconque idéologie « génocidaire » dans le lait maternel de leurs mères, devrait plutôt réunir le parlement pour se demander comment faire pour que Jambo ASBL et les autres organisations politiques et apolitiques  qui se montrent critiques envers le FPR soient présents au prochain Umushyikirano, ou plus facile, inviter les habitants évincés de Bannyahe pour écouter leurs doléances et les aider à trouver une solution. L’année 2020 a été une année extraordinaire pour toute la planète et plus particulièrement pour le Rwanda. Un observateur attentif du pays aura remarqué que le débat public revient petit à petit. Pour l’instant, le débat se passe principalement sur les réseaux sociaux, notamment sur Youtube, mais il a lieu. Il suffit de lire les nombreux commentaires des lecteurs sur les articles ou le nombre de vues des chaînes YouTube pour se convaincre que les Rwandais ont soif de débat et de changement. Même le FPR semble avoir compris le message, si l’on en croit le traitement réservé à ses principaux opposants intérieurs que sont Madame Victoire Ingabire et Monsieur Bernard Ntaganda.

Encore en 2019, il était impensable de dire du bien de Madame Ingabire ou d’en parler comme une personne normale faite de chair et de sang, sans même aller jusqu’à lui tendre un micro, ce qui faisait de vous le complice du diable. En 2020, il est commun de voir des journalistes aller lui rendre visite et l’interviewer, sa fille aînée lui a rendu visite au Rwanda, on l’a même vue récemment dans un débat avec un des politologues les plus en vue du pays, Ismaël Buchanan. Bien sûr, les débats sont encore maladroits, 20 années de propagande et de monologues politiques ne s’effacent pas du jour au lendemain, mais on ne peut que saluer et encourager ce début encore balbutiant de normalisation du débat public au Rwanda.

En 1986, un fin connaisseur du Rwanda avait demandé au président Habyarimana si « umanyi Balinga, umanyi umuravunga, umanyi rwiziringa ? », littéralement « connaissez-vous le Tetradenia riparia, connaissez-vous la pomme-épineuse, connaissez-vous les fantômes ? »

Umuravunga ou umuravumba en Kinyarwanda est une plante médicinale très amère, dont les feuilles sont largement utilisées dans la région des grands lacs pour leurs vertus antiseptiques, ses feuilles sont un ingrédient important de la pharmacopée rwandaise. Rwiziringa est une plante qui comme une liane s’enroule autour d’un arbuste pour en étouffer la croissance. Balinga signifie fantôme.

À force de vouloir faire peur à la population rwandaise pour la rendre plus docile, le FPR n’a pas cessé d’inventer des fantômes qu’il érige en épouvantails, mais comme tout propagandiste qui reste toujours le dernier à croire en sa propre propagande, il a fini par se prendre à son propre piège. Il se retrouve aujourd’hui terrorisé et tétanisé par ces mêmes fantômes plus ou moins imaginaires et bientôt suffoqué par le « rwiziringa » qu’il a formé autour de lui-même avec toutes les contradictions et mensonges que ses stratèges ont créé en pensant pouvoir embrouiller tout le monde et protéger ainsi le régime. Mais le remède existe, c’est d’accepter le dialogue avec ses contradicteurs. Ce sera amer comme l’ « umuravumba », mais il va falloir le prendre.

Pour le FPR, qui a perdu l’habitude du débat contradictoire, l’apprentissage va être douloureux. Pour certains il est certainement trop tard pour revenir en arrière, mais ce qui compte avant tout c’est le futur et quand on voit et écoute les débats actuels, on ne peut que se réjouir de ce renouveau plutôt rafraîchissant et souhaiter que de plus en plus de membres du FPR rejoignent le débat public.

Il est souhaitable pour le pays et le FPR lui-même que la jeune génération des Inkotanyi prenne conscience que les temps ont changé, qu’ils vont devoir composer avec leurs compatriotes de tous bords et que le seul moyen pour le FPR de ne pas être balayé par l’histoire comme le MDR-Parmehutu et le MRND[10], ses prédécesseurs dans la voie de la gouvernance sur le modèle du parti-État, est qu’ils puissent imposer à leurs aînés la transformation de la « famille du FPR »  en un parti politique normal, comme eux-mêmes l’ont fait avec leurs pères du RANU[11] dans les années 1980.

Le FPR a encore toutes les cartes en main pour se transformer avant d’y être forcé par les événements, car à ce moment-là, il risque d’être trop tard.

Article d’opinion soumis pour publication par Luc Rugamba
Jambonews.net


  1. Le Parmehutu a été fondé en 1959 par Grégoire Kayibanda. Peu avant les élections de 1961, il changera son nom pour devenir MDR-Parmehutu (Mouvement démocratique républicain), Il domina la politique pendant la première république. Il a été dissout après le coup d’État du Général Habyarimana en 1973. 
  2. L’UNAR a été fondée en 1959 par les monarchistes traditionalistes pour soutenir le roi Kigeli V Ndahindurwa, sa principale revendication était l’indépendance immédiate.
  3. Fondée par Joseph Gitera en 1957, d’abord comme une association, elle se transformera en parti politique le 15 février 1959, devenant ainsi le premier parti politique officiellement crée au Rwanda.
  4. Crée en 1959 par Prosper Bwanakweli, le RADER se voulait un parti libéral rassemblant Hutus et Tutsis. Considéré comme une création des belges pour affaiblir l’UNAR, il n’a jamais réussi à attirer les masses populaires.
  5. T. Bagaragaza, Considérations générales sur les spécificités du phénomène de « Guta Umurongo »
  6. Fondé en 1991, le MDR a été le principal parti d’opposition au président Habyarimana, il sera dissout en 2003 suite à un rapport d’une commission parlementaire l’accusant de véhiculer une idéologie génocidaire malgré que le premier ministre de l’époque en était membre et est resté à son poste jusqu’en 2011.
  7. Le Parti social-démocrate du Rwanda a été le premier parti crée en 1991 après l’introduction du multipartisme au Rwanda. À l’origine, ses membres étaient surtout des intellectuels des préfectures de Butare et Gikongoro.
  8. Le PL a été crée en 1991. Son premier président était Landouald Ndasingwa.
  9. B. Mussolini sur l’État total
  10. Fondé en 1975 par le Général Juvénal Habyarimana, le MRND a été érigé en parti unique par la constitution de 1978, il le restera jusqu’à la réintroduction du multipartisme en 1991, il sera dissout après la guerre de 1994.
  11. Rwandese Alliance for National Unity. Fondé en 1980 par des réfugiés rwandais en Ouganda, lors de son congrès de décembre 1987, il changea son nom pour devenir le Front patriotique rwandais.

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