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Rwanda : Procès du journaliste Phocas Ndayizera

Rwanda : Procès du journaliste Phocas Ndayizera

Ce mardi 19 novembre 2019 commencera le procès du journaliste Phocas Ndayizera et ses 12 co-accusés. Le procès qui aurait dû débuter le 18 septembre a déjà été reporté à deux reprises. Au-delà de l’enjeu du procès, les accusés auraient participé à la préparation d’actes terroristes, la question en suspens est celle des conditions dans lesquelles le procès va se dérouler. En effet, 10 des accusés pourraient ne pas avoir d’avocats, de plus l’on ignore qui seront les nouveaux avocats de Phocas Ndayizera et, enfin, les accusés auront-ils pris connaissance de leur dossier avant l’audience ?

21 novembre 2018 : disparition et réapparition

Le 25 novembre 2018, la disparition du journaliste indépendant Phocas NDAYIZERA, qui faisait des piges pour la radio locale BBC-Gahuza, était rendue publique par sa femme. Il était parti de son domicile le 21 novembre 2018 pour se rendre dans la ville de Muhanga dans la province du Sud du pays. Au quatrième jour de la disparition de son mari, alors que le RIB (Rwanda Investigation Bureau – le Bureau d’enquêtes judiciaires) lui avait dit ne pas savoir ce qui serait arrivé à son mari et que l’enquête était en cours, Chantal Mukarugira s’est exprimée auprès de la BBC au cours d’une interview.

Plusieurs médias dont Jambonews ayant couvert la disparition, la communauté internationale commençait à s’intéresser à l’affaire quand trois jours plus tard, le 28 novembre 2018, la police rwandaise paradait Phocas Ndayizera devant la presse. Fatigué, la voix marquée par l’émotion, Phocas Ndayizera déclarait ne pas savoir pourquoi il avait été arrêté : « Il était midi, j’arrivais vers le stade de Nyamirambo quand j’ai été arrêté, je ne sais pas où ils m’ont amené, ni l’endroit où j’ai été emprisonné, je ne sais pas pourquoi. » La police rwandaise admettait par le biais de son porte-parole de l’époque Modetse Mbabazi, que c’était elle qui détenait le journaliste durant la semaine et qu’il était poursuivi pour actes terroristes. Montrant des cartons avec des explosifs à l’intérieur, Modeste Mbabazi expliquait : « Ce que vous voyez, ce sont des dynamites qu’il avait sur lui, qu’il allait chercher à Nyamirambo. » Au sujet du silence de la police, il a expliqué que les enquêtes sur les actes de terrorisme répondaient à des procédures spécifiques. 

21 décembre 2018 : présentation devant la Cour et le mystère de 12 co-accusés 

Le 21 décembre 2018[1] se tenait la première audience publique de Phocas Ndayizera au tribunal de première instance de Nyarugenge. A la grande surprise générale, il était accompagné de 12 co-accusés, dont les familles ont informé les journalistes que leurs proches étaient jusque-là portés disparus, et que c’était la première fois en 30 jours qu’ils les apercevaient ou avaient de leurs nouvelles. Le juge a informé l’auditoire qu’au cours des premières audiences, tenues à huis clos, les accusés avaient avoué être responsables des faits qui leur sont reprochés, ils avaient dit s’être laissés influencer par l’opposition rwandaise et qu’ils demanderont pardon dans leur défense. Phocas Ndayizera a même confessé avoir agi de connivence avec Cassien Ntamuhanga.

Cassien Ntamuhanga était le directeur de la radio chrétienne rwandaise Amazing Grace, il avait été arrêté en 2014 et était le co-accusé de Kizito Mihigo pour complot contre l’Etat rwandais entre autres. Il avait écopé de 25 ans de réclusion criminelle. Il avait réussi à s’évader de la prison de Mpanga le 31 octobre 2017 avant de s’exiler à l’étranger. Le procureur avait donc informé la cour que Phocas Ndayizera était un ami d’enfance et un camarade d’école de Cassien Ntamuhanga, et que leur amitié était à la base de leur « complot » contre l’Etat rwandais. Selon le parquet, Cassien Ntamuhanga avait demandé à Phocas Ndayizera de trouver les moyens de détruire les infrastructures à l’aide d’explosifs. Les infrastructures visées auraient été les usines de production électrique, les réservoirs d’essence et d’autres infrastructures publiques. Une partie des jeunes co-accusés voulaient rejoindre l’« armée de Ntamuhanga », qui selon le procureur opérerait dans un pays voisin du Rwanda.

Au terme de cette audience, au vu de la gravité des crimes reprochés aux accusés, le tribunal avait pris la décision de les maintenir en détention en attendant leur procès. 

22 décembre 2018 : Cassien Ntamuhanga lève le mystère

Dans la foulée de l’audience du procès, Tharcisse Semana, un journaliste rwandais vivant en exil, interroge Cassien Ntamuhanga sur ses liens avec Phocas Ndayizera le 22 décembre 2018. Ntamuhanga confirme qu’ils ont grandi ensemble et ont fréquenté la même école primaire. Revenant sur les aveux de son ami et les allégations du parquet rwandais, Cassien Ntamuhanga rappelle le harcèlement émotionnel dont Kizito Mihigo et lui-même avaient été victimes en 2014 : « Dès le départ, je n’ai pas collaboré avec eux. Avant de nous parader devant la presse, ils nous ont montré à Kizito et à moi le communiqué, ils nous disaient : » les enfants, nous avons tout fait pour vous, nous avons payé vos frais de scolarité et vous avez des bons métiers aujourd’hui, et voilà que vous commencez à vous associer avec l’opposition rwandaise. Si vous avouez les accusations portées contre vous, nous allons vous réhabiliter dans la société, vous serez réinsérés dans le milieu professionnel. » Pour Ntamuhanga, la première déclaration de Phocas Ndayizera, celle du 28 novembre, est celle qui compte. 

Dans la même émission il a révélé que Phocas Ndayizera et ses 12 co-accusés étaient membres d’un mouvement « RANP- Abaryankuna » (Rwandan Alliance for The National Pact – Alliance rwandaise pour le pacte national), un mouvement formé en 2013 par la jeunesse rwandaise avec la volonté de peser sur l’avenir du Rwanda. Cassien Ntamuhanga est l’un des membres fondateurs du mouvement, selon lui c’est le motif qui l’a conduit en prison et qui amène les autorités rwandaises à vouloir discréditer son nom. Jambonews revient prochainement sur le mouvement « Abaryankuna »

Les co-accusés de Phocas Ndayizera sont : Elmereki Karangwa, Patrick Niyihoza, Martin Munyensanga, Elias Ngarama, Théoneste Nkurikiyimfura, Garno Byiringiro, Yves mushimiyimana, Ernest Nshiragahinda, Terrence, Emmanuel Niyonkuru et Jean Claude Nshimiyimana.

18 septembre 2019 : Tribunal de grande instance de Nyanza, audience reportée

Le 18 septembre 2019[2] était prévu le premier jour du procès de Phocas Ndayizera et des 12 co-accusés à la section terroriste du tribunal de grande instance de Nyanza dans le sud du Rwanda. Le procès a été reporté au 29 octobre 2019 car l’informatique était en panne depuis deux mois dans la prison de Kigali où sont enfermés les accusés, par conséquent aucun d’eux n’avait été en mesure de prendre connaissance de son dossier avant l’audience. 

Sur les 13 personnes, la justice rwandaise ayant décidé d’ajouter Cassien Ntamuhanga à la liste des accusés et de le juger par contumace, seuls Ndayizera et un autre accusé ont un avocat, les 10 autres ont informé la cour ne pas avoir les moyens de payer un avocat. Le juge a considéré que c’est le rôle de l’Etat rwandais de leur attribuer des avocats commis d’office et que si les 10 se présentaient sans avocats aux prochaines audiences ils seraient considérés comme désirant assurer eux-mêmes leur défense.

Réagissant sur cette première journée du procès, Cassien Ntamuhanga, qui est depuis devenu le coordinateur du mouvement, déclare : « Kagame et son FPR, leur système, ces juges ou d’autres dirigeants rwandais, ne devraient pas juger les Abaryankuna, un démon ne devrait pas juger un ange. »

29 octobre 2019 : nouveau report

Le 29 octobre 2019 a lieu, sous haute sécurité, le second jour du procès. Le tribunal est gardé par de nombreux militaires et gardiens de prison armés jusqu’aux dents. Les accusés entrent dans la salle d’audience les bras menottés et les jambes enchainées. Phocas Ndayizera, le premier à se présenter, exprime sa volonté de changer d’avocat et affirme ne pas être en possession de tout l’acte d’accusation. L’un de ses avocats déclare à la BBC que la cause de cessation de leur contrat relève du secret professionnel et que cela s’est fait de commun accord. Le juge Antoine Muhima qui préside le procès exige que ces problèmes, changement d’avocats et accès à l’acte d’accusation soient résolus avant la prochaine audience. Le procès est reporté à ce 19 novembre 2019. Le juge a mis en garde Phocas Ndayizera que c’était la dernière fois que le procès est ajourné. Avec ou sans avocat, Phocas Ndayizera devrait donc être jugé ce 19 novembre 2019.

Constance MUTIMUKEYE
Jambonews.net 

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[1] https://www.bbc.com/gahuza/46649716

[2] https://www.bbc.com/gahuza/49739843

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