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Carine Kanimba : « Au nom de mon père, Paul Rusesabagina » – héros du film Hôtel Rwanda

Carine Kanimba : « Au nom de mon père, Paul Rusesabagina » – héros du film Hôtel Rwanda

Ce jeudi 31 décembre 2020 marque les 4 mois, jour pour jour, depuis que Carine Kanimba, fille de Paul Rusesabagina a appris la détention de son père au Rwanda :

« Je dormais à Washington aux côtes de ma sœur et vers 3-4h du matin, nous avons été réveillées par différents coups de fils. On nous envoyait des photos de mon père paradé et menotté devant le RIB [la police judiciaire rwandaise]. C’était choquant, ça faisait peur, j’avais du mal à le croire, je pensais que j’allais me réveiller et que tout serait normal et qu’il serait au Texas entrain de faire son jardin. »

A l’heure où beaucoup réfléchissent encore à leurs résolutions pour l’année 2021, Carine n’en a qu’une seule en tête : « ramener mon père à la maison ».

Dans cet article, Jambonews, revient sur le parcours d’une jeune femme qui, depuis quatre mois, a mis sa vie entre parenthèses pour venir en aide à son père, désormais célèbre héros du film « Hôtel Rwanda ».

Carine est née à Kigali en mai 1993, dans un pays qui était alors en proie à une guerre déclenchée le 1eroctobre 1990 par le FPR-Inkotanyi, une rébellion dirigée par des réfugiés tutsis vivant en Ouganda. 

L’atmosphère dans laquelle se trouve le Rwanda à ce moment-là est tendue.

La peur et l’angoisse sont partout, en raison du contexte de guerre mais aussi du fait que Fedens et Thomas Kanimba, les parents biologiques de Carine, craignaient pour leurs vies, étant donné qu’ils sont tous deux d’ethnie tutsie. « Au début du film Hôtel Rwanda, une scène illustre ce climat de peur dans lequel étaient mes parents. Mon père et ma mère décident alors d’aller voir leur beau-frère qui dirigeait l’Hôtel des diplomates. Il s’agit de Paul Rusesabagina.

Ça devait être le 5 avril. Ils avaient entendu des informations selon lesquelles, au déclenchement d’un signal, les tutsis vivant à l’intérieur du Rwanda pourraient être exterminés. Ils voulaient fuir le pays » nous raconte Carine.

Paul Rusesabagina les rassure alors comme il peut « les Nations-Unies sont là, la presse internationale regarde, la paix a été signée » et les invite à revenir en discuter le lendemain à tête reposée.   

Le lendemain, 6 avril 1994, les craintes de Thomas Kanimba s’avèrent fondées lorsque l’avion qui transporte Juvénal Habyarimana, le président rwandais de l’époque, est abattu au-dessus de Kigali par le FPR-Inkotanyi[1] qui lance dans la foulée une offensive générale sur le Rwanda et la guerre reprend aussitôt. 

Dans les zones contrôlées par les forces gouvernementales de l’époque des barrages routiers sont mis en placeet une chasse à toute personne soupçonnée à tort ou à raison d’être complice des rebelles du FPR débute.

Les Tutsis qui vivaient à l’intérieur du Rwanda sont assimilés aux envahisseurs sans aucune distinction de genre ou d’âge et sont aussitôt pourchassés. C’est le début du génocide contre les Tutsis, durant lequel on estime que près de 75% des Tutsis qui vivaient à l’intérieur du Rwanda seront exterminés, le plus souvent à l’arme blanche. 

Aux alentours du 9 avril 1994, Thomas Kanimba décide de fuir Kigali vers Butare avec sa femme et ses deux enfants, Carine et Anaïse, âgée de deux ans à l’époque.

Arrivés à Gahanga en compagnie d’autres réfugiés, ils sont interceptés par des militaires qui entassent la foule au milieu de la route « ils ont commencé à nous tirer dessus. J’étais trop petite pour réaliser ce qui se passait, c’est ma tante présente sur place qui nous a raconté les faits. Une balle a atteint mon père, qui est décédé sur le coup.» 

Carine, Anaïse, leur mère et leur tante parviennent à s’extirper des cadavres et retournent se réfugier à leur domicile de Kigali.

En raison des fouilles qui étaient en cours, à la recherche des « ibyitso »[terme à l’époque utilisé pour désigner les présumés complices du FPR], leur tante part se cacher dans les latrines des voisins : «de sa cachette, ma tante a aperçu des miliciens Interahamwe rentrer dans notre maison et emmener ma mère. Depuis lors on n’a jamais de nouvelles sur son sort. Comme ma tante n’a pas vu Anaïse et moi être emmenées en même temps que ma mère, elle s’est dit qu’il y’avait une chance qu’on soit encore en vie et a pu nous retrouver dans la maison.  Elle a réussi à faire passer le message à Paul et Taciana et c’est comme ça qu’ils ont appris qu’on était encore en vie

Dès que Paul et Taciana Rusesabagina apprennent la nouvelle ils entament toute une série de démarches pour retrouver les deux enfants et envoient plusieurs personnes à leur recherche, dont des équipes de la Croix rouge.

Les équipes reviennent à chaque fois bredouilles.   

Retrouvailles

Ce n’est que plusieurs semaines plus tard, que Paul et Taciana Rusesabagina apprennent finalement que les deux enfants ont été emmenées dans un camp de réfugiés et partent à leur tour à leur recherche « la scène des retrouvailles est illustrée dans le film Hôtel Rwanda qui est très fidèle à la réalité sur ce point, à la différence près qu’on était beaucoup plus jeunes que ce qu’on parait le film. J’avais un an et Anaïse deux ans, alors que les deux jeunes filles qui jouent nos rôles dans le film sont un peu plus âgées. »

Le couple adopte aussitôt les deux enfants qui viennent compléter une famille nombreuse désormais composée de 7 enfants. La famille vivra au Rwanda jusqu’en 1996, année où Paul Rusesabagina est victime d’une tentative d’assassinat « un soldat est venu à notre maison, demandant après mon père. Dès qu’il est entré, il a sorti une arme et a été neutralisé de justesse par le gardien. A ce moment, ma famille a pris la décision de fuir le Rwanda, d’abord en Ouganda, pour atterrir ensuite en Belgique.» 

En 1998, Philippe Gourevitch, un auteur et journaliste américain, publie le livre « Nous avons le plaisir de vous informer que demain, nous serons tués avec notre famille » basé sur des centaines d’interviews de victimes du génocide ou différents acteurs. Le livre devient rapidement un best seller qui reçoit de nombreux prix. Parmi les histoires contées par Phippe Gourevitch, celle d’un homme ordinaire étant parvenu à sauver d’une mort certaine des centaines de personnes, attire l’attention du public au point qu’une année après la sortie du livren un directeur de la chaine américaine HBO contacte Paul Rusesabagina pour en faire un film ; une proposition que ce dernier refuse. 

C’est en 1999, alors qu’elle allait sur ses 7 ans, que Carine apprend son histoire familial « ma mère nous a emmenées dans la chambre, elle tenait plusieurs photos en mains qu’elle nous a montrées, et nous a dit que c’étaient les photos de nos parents. Anaïse s’est mise à pleurer et moi aussi par mimétisme car à 7 ans je ne réalisais pas ce qu’elle nous disait. A cet âge-là, ce sont des vérités qu’on ne parvient pas à comprendre, j’ai pleuré car ma sœur pleurait. » 

C’est également durant cette soirée là que leur mère leur a expliqué les raisons pour lesquelles elles ne portaient pas le nom de Rusesabagina « afin de garder la mémoire de nos parents ils avaient décidé de ne pas changer nos noms pour qu’on n’oublie jamais d’où on vient. Nos parents étaient des gens très importants pour eux, c’était une façon de graver leur souvenir dans le marbre. » 

A partir de ce moment-là, malgré son jeune âge, Carine passe beaucoup de temps à approcher différentes personnes de sa famille ou des amis, pour leur poser des questions sur ses parents «je voulais savoir qui j’étais, qui étaient mes parents, qu’elle avait été leur vie. Pour certains c’était un sujet très sensible. Je voulais comprendre pourquoi mes parents avaient été tués, je voulais comprendre l’origine de cette haine qui pousse des humains à tuer. Je ne comprenais pas et même aujourd’hui je ne comprends toujours pas.»

Hôtel Rwanda 

En 2001, Paul Rusesabagina rencontre Terry George, le futur réalisateur de Hôtel Rwanda, qui lui présente son projet.

Paul Rusesabagina est immédiatement séduit et embarque « en 2003, en vue de la réalisation du film, Don Cheadle, a passé deux semaines avec nous à la maison. Il a également effectué plusieurs voyages avec notre famille. Il devait apprendre les comportements de Papa, donc il était avec nous 24 heures sur 24. 

Pour moi c’était magique de passer autant de temps avec une star de cette envergure. Le premier soir il a observé Papa et à partir du deuxième soir, il a commencé à copier ses gestes, il apprenait à être lui en vue du tournage. Lorsque le film est sorti, il y a pas mal de gestes de mon père qu’on a reconnu, c’était marrant à voir. »  

En 2004, dès sa sortie, le film Hôtel Rwanda connait un succès mondial et est nominé à trois oscars. « A 11 ans, je me rappelle avoir assisté à beaucoup d’avant premières lorsque j’étais en vacances, je passais mon temps à courir partout dans les salles, ou à me cacher sous les tables.  J’étais une petite fille qui ne comprenait pas l’importance de ces événements. Je me rappelle par exemple avoir brièvement disparu au festival du film de Berlin. »

Au Rwanda, le film est salué par le nouveau pouvoir en place, au point qu’une projection est organisée au Stade national, devant un public de 10 000 personnes ainsi qu’à différents autres endroits.

Aimable Karasira, à l’époque professeur d’université à Butare[2] se remémore « je me rappelle quand le film est sorti, il a été projeté à l’université de Butare, nous avons tous applaudi et aimé le film.» Le général Kagame assistera également en personne à la première du film, qu’il semble apprécier aux côtés de Terry Georges, le réalisateur.[3]

« Le silence est une complicité » 

Lors de cette première projection qui se déroule à Kigali en avril 2005, devant un parterre cinq étoiles, un nom et pas des moindres manque à l’appel : Paul Rusesabagina « il avait dit qu’il ne se sentait pas en sécurité et qu’on l’avait averti de ne pas venir à Kigali » déclare Terry Georges au New York Times[4].

Et pour cause, Paul Rusesabagina avait affiché sa volonté de ne pas rester silencieux devant les crimes et les injustices du nouveau régime « le silence est une complicité, je ne suis pas resté silencieux avant 1994, en 1994 durant le génocide, je ne suis pas resté silencieux, j’ai utilisé mes mots pour aider les gens au Mille collines où j’avais 1268 personnes et nous avons tous pu nous en sortir vivant, alors aujourd’hui je ne resterais pas silencieux. » explique t-il ainsi dans une de ses nombreuses interviews. 

Au-delà du film, c’est la personnalité et le courage de Paul Rusebagina qui sont salués aux quatre du monde au point qu’il se voit décerner en 2005, la médaille présidentielle de la liberté par Georges Bush, la plus haute distinction civile des Etats-Unis ainsi que de nombreux autres prix. 

Une nouvelle vie commence alors pour Paul Rusebagina qui vend sa société de taxis en Belgique et entame une carrière de conférencier aux quatre coins du monde. Au cours de ses multiples conférences, il revient sur le film Hôtel Rwanda, sur le génocide des tutsis et évoque également systématiquement les crimes de masse commis par le nouveau régime « jusqu’à aujourd’hui les gens sont arrêtés et tués immédiatement avant même d’être emmenés dans une quelconque prison. Le Rwanda a changé les danseurs mais n’a jamais changé la musique. Avant la musique c’était tuer, aujourd’hui, la musique c’est toujours tuer, mais les tueurs ont changé d’un camp à un autre. » assène t-il dans le documentaire « The Man Behind The story of Hotel Rwanda », un des nombreux documentaires qui lui sont consacrés. 

Un homme à abattre 

En raison de ces conférences au succès grandissant aux quatre coins du monde, Paul Rusesebagina devient rapidement, aux yeux du régime en place au Rwanda, un homme à abattre. Les insultes, les diffamations et les menaces s’enchainent à une vitesse effrénée. A plusieurs de ses conférences, des partisans du régime en place tentent de semer le chaos et accusent celui dont l’histoire personnelle contée par Hollywood témoigne pourtant de l’horreur du génocide, d’être un négationniste animé d’une « idéologie génocidaire ». 

Le 31 décembre 2009, alors que la famille s’apprêtait à célébrer la nouvelle année, Carine prend pour la première fois conscience de l’ampleur du danger que court son père « quand on est rentrés, on a trouvé la maison sens dessus sens dessous, on avait été cambriolés. Les malfaiteurs n’avaient visiblement pris que des documents en kinyarwanda ainsi que tous les documents en lien avec le film et avaient laissé tous les biens de valeurs. Pour mon père ça ne faisait aucun doute, c’était l’œuvre des hommes de Kagame qui était après lui depuis 2005. »

En dehors de cet épisode, Carine est relativement épargnée par les menaces et les attaques que subit son père et pour cause, depuis 2007, elle, Anaïs et Trésor les trois plus jeunes enfants du couple étudient à l’internat aux Etats-Unis « l’idée était d’une part de nous permettre d’apprendre l’anglais, et d’autre part de nous permettre d’avoir de la stabilité car nos parents voyageaient désormais énormément. On rentrait en Belgique environ tous les trois-quatre mois pour les vacances » se rappelle Carine. 

C’est lors de ses vacances en Belgique, aux contacts de Paul Rusesabagina que Carine garde contact avec la culture rwandaise et apprend le kinyarwanda « il ne voulait jamais me parler en français, dès que je lui racontais ma journée, il me répondait toujours « ntacyo numvise [je n’ai rien compris] pour m’obliger à répéter en kinyarwanda. C’est grâce à sa rigueur qu’aujourd’hui je peux me débrouiller en kinyarwanda même si mon kinyarwanda est loin d’être parfait. »  

Carine Kanimba entouré de deux des plus grands artistes musiciens rwandais. Meddy à sa droite et Kitoko à sa gauche.

La question rwandaise

C’est à partir de 2012, lors des ses études à l’Université Northwestern et au contact de l’importante communauté rwandaise de Chicago que Carine commence à saisir la sensibilité de la question rwandaise.

A Chicago, Carine côtoie de nombreux rwandais dont plusieurs stars de la musique tels que Kitoko, Meddy, The Ben « les rwandais se côtoyaient passaient beaucoup de temps ensemble. On pouvait discuter de nombreux sujets, mais dès que ça touchait à la politique rwandaise, les gens devenaient inconfortables. J’avais la chance de croiser des personnes qui venaient directement du Rwanda et je posais pleins de questions sur le climat politique au Rwanda, pour avoir le point de vue de quelqu’un qui vivait sur place. A chaque fois j’essuyais la même réponse « tu vas nous créer des problèmes !»  Je savais que les gens avaient peur d’aborder des sujets touchant à la politique rwandaise mais pas à ce point, je ne comprenais pas comment des gens aux Etats-Unis pouvaient avoir à ce point peur de dire ce qu’ils pensent de la politique rwandaise.» 

De 2016 à 2018, après avoir obtenu un diplôme en sciences politiques à la Nortwestern University de Chicago, Carine, étudie le droit et l’économie au sein de trois prestigieuses universités européennes, l’Université de Bologne en Italie, l’Université de Rotterdam aux Pays-Bas ainsi que l’Université d’Aix-en Provence en France. 

Au terme de son parcours académique, elle revient aux Etats Unis, pour travailler à New York dans la finance « avec la diminution de l’activité en raison du Covid et l’explosion des cas de Covid New York, j’avais toutefois temporairement quitté New York pour Washington où j’étais aux côtés de ma sœur. » 

C’est de Washington qu’en août 2020, Carine reçoit un coup de fil de Paul Rusesabagina lui demandant de l’aider à réserver un vol pour Dubaï « comme je lui réserve souvent des vols, il m’a appelé et m’a demandé de l’aider à trouver un vol aller le 27 aout, retour le 2 septembre pour Dubaï. Je n’ai pas cherché à savoir ce qu’il allait y faire, il voyage tellement souvent partout dans le monde que je n’y prête pas attention. En plus, comme il est sur écoute, on évite, pour des raisons de sécurité, d’aller dans trop de détails au téléphone. » 

« Joyeux anniversaire petit Loulou »

Le 27 août, alors qu’il se trouve à Dubaï, Paul Rusesabagina envoie dans le groupe WhatsApp familial « Joyeux anniversaire petit Loulou», à destination de son petit-fils qui venait de célébrer ses 18 ans. Ce sera le dernier message qu’il enverra à la famille. 

Le 28 août à 21 heures tapante, Taciana Rusesabagina attend le coup de fil quotidien de son mari, en vain « tous les jours à 21heures, où qu’il soit dans le monde, ils ont pris l’habitude de s’appeler, elle s’est dit qu’il avait dû avoir un imprévu et qu’il pourrait reparler le lendemainElle lui a envoyé un message, qui n’a jamais été réceptionné, on se demandait si c’était des problèmes de connexion ou si quelque chose lui était arrivé. »

Le 29 et le 30 août, le même scénario se répète et l’inquiétude grandit.

Ce n’est que le 31 août que la famille découvre avec stupeur ce qu’il s’est passé « je dormais à Washington aux côtes de ma sœur et vers 3-4h du matin, nous avons été réveillées pendant la nuit par différents coups de fils. On nous envoyait des photos de mon père paradé et menotté devant le RIB [la police judiciaire rwandaise]. C’était choquant, ça faisait peur, j’avais du mal à le croire, je pensais que j’allais me réveiller et que tout serait normal et qu’il serait au Texas entrain de faire son jardin. On sait comment le Rwanda traite les prisonniers. A chaque instant où il n’était pas devant les médias, les pires images de ce qu’ils seraient entrain de lui faire hors cameras me venaient en tête.»

Carine poursuit en sanglotant « j’ai commencé à me sentir extrêmement coupable, je me disais que je n’aurais pas dû l’aider avec le vol pour Dubaï. Je me sentais coupable pour le ticket d’avion. J’entendais toutes les horreurs qu’on disait sur lui, toutes ces accusations dans lesquelles il était désigné comme un terroriste, ma première réaction a été de me dire qu’on n’allait pas les laisser inventer tous ces mensonges sans agir. »

Aller simple vers la Belgique 

Leur première action a été de réunir une équipe qui connaissait leur famille « Amber, kitty, Kevin, Brian ont tous fait partie de la fondation de Paul Rusesabagina. Depuis le départ, ils ont été d’un grand soutien. Ils ont beaucoup d’expérience, ils travaillent jour et nuit sans relâche pour la libération de mon père, et tout ça bénévolement car c’est une cause qui leur tient à cœur. On a ensuite mis en place une équipe d’avocats internationaux pour étudier tous les moyens légaux qui pourraient être mis en place. Avant d’avoir enquêté on savait que la version des autorités rwandaises ne tenait pas la route, mon père ne se serait jamais rendu par lui-même au Rwanda, sachant que le régime essaye de le tuer depuis plusieurs années. » 

Grâce au dynamisme de cette équipe des dizaines d’associations sont sensibilisées sur le sort du Héros d’Hôtel Rwanda, des centaines d’articles sont publiés dans les médias internationaux et le monde politique américain se mobilise. Des membres du congrès américain vont même jusqu’à publiquement demander la libération immédiate de celui qui a une résidence permanente aux Etats-Unis. 

Si la mobilisation associative, médiatique et politique aux Etats-Unis dépasse rapidement les espoirs de Carine, cette dernière comprend moins la réaction timorée en Belgique « avant d’être un résident permanent aux Etats-Unis, Paul Rusesabagina est avant tout un citoyen belge. Un citoyen belge a été kidnappé au Moyen-Orient et est aujourd’hui illégalement détenu dans une dictature. C’est un crime grave qui a été commis contre un citoyen belge mais à l’exception notable de certains députés tels que Samuel Cogolati, Els Van Hof, ou Georges Dallemagne, la classe politique belge ne semble pas se sentir concernée par cette affaire. On ne comprend pas. »

Face à cette timide réaction de la Belgique, Carine décide de plier bagage, de mettre sa vie entre parenthèses et de venir s’installer temporairement à Bruxelles dans la maison familiale à Kraainem, afin de sensibiliser les autorités belges sur le cas de son père et les pousser à agir de manière appropriée.   

« Au Rwanda, les personnes disparaissent car leurs familles se taisent »

Durant les 11 premiers jours de détention de Paul Rusesabagina, la famille n’aura aucun contact avec lui.

Il n’est pas autorisé à rencontrer les avocats choisis par la famille, le gouvernement lui ayant octroyé deux avocats commis d’office mandatés par le régime « ce n’est que le 8 septembre qu’on a pu enfin lui parler pour la première fois. Il parlait comme un robot. Il m’a dit qu’il avait entendu dire que je faisais des interviews dans les médias et m’a demandé d’arrêter. Je ne le reconnaissais pas car il nous avait toujours dit qu’au Rwanda les personnes disparaissaient ou étaient victimes d’injustices car leur entourage se tait par peur ou en pensant que c’est la meilleure manière de les protéger. Il nous avait dit que si un jour quelque chose devait lui arriver, la meilleure façon de le garder en vie serait de parler de lui. Et là, son message était à l’opposé de tout ce qu’il avait toujours prôné et c’est ce qui m’a fait dire qu’il parlait sous contrainte. »

Les différentes tentatives de la réduire au silence auront l’effet inverse, et Carine Kanimba multiplie les interviews, en français, en anglais, en kinyarwanda et même en espagnol pour sensibiliser le monde sur le cas de son père, au point de se retrouver rapidement elle-même dans le collimateur du régime.  

Les menaces ne tardent pas, et plusieurs comptes twitter créés pour faire la propagande du régime l’avertissent qu’elle sera la prochaine «le plus souvent les messages menaçants venaient de comptes anonymes, mais venaient parfois aussi de personnes ordinaires. Je ne fais que défendre mon père, et en même temps critiquer le gouvernement sur la manière dont il a été kidnappé. Pour que mes interlocuteurs comprennent la nature du régime dont on parle, j’évoque également les crimes commis par le régime, mais je n’ai jamais compris pourquoi quelqu’un qui n’a absolument rien avoir avec ces, crimes vient s’en prendre à moi.»

Dans son entourage beaucoup prennent peur pour elle et l’appellent à la prudence dans ses interventions « beaucoup de gens me disent de faire attention, me disent que c’est dangereux, disent comprendre que je puisse défendre mon père mais me conseillent de ne pas critiquer le régime. Ça me parait être difficile, car si mon père en est là, c’est en raison des vérités dérangeantes qu’il disait, c’est cette vérité dérangeante que Kagame lui reproche, ça me parait difficile d’expliquer la situation de mon père, sans expliquer les abus du régime Kagame dont beaucoup de rwandais sont aujourd’hui encore victimes. » 

Harcèlement sur les réseaux sociaux

A côté de ces menaces, Carine subit rapidement, comme toute personne qui s’aventure à critiquer le régime rwandais, un harcèlement continue en ligne et se voit accusée par des supporters du FPR d’être une « révisionniste », « négationniste », d’avoir « l’idéologie génocidaire » et même d’être une « idéologue du génocide » au point que Tom Ndahiro, conseiller en communication au sein de la présidence rwandaise et qui compte près de 40 000 followers sur twitter lui décerne « la machette d’or 2020 », un prix fictif qu’il décerne aux « négationnistes du génocide contre les Tutsi. »  

« Quand je vois ce genre d’accusations, je les trouve tellement absurdes que j’en rigole. M’accuser de négationnisme, revient à dire que mes parents n’ont jamais existé, c’est comme m’enlever ma propre histoire, et c’est un manque de respect à la mémoire de ma famille tuée pendant le génocide. C’est dommage qu’ils fassent ça, car ils banalisent ces notions et leur font perdre tout leur sens

Comme si l’indécence n’avait pas de limites, les attaques en ligne subies par Carine prennent par moments une tournure encore plus violente en allant jusqu’à évoquer le nom de ses parents tués pendant le génocide, comme ce tweet de Noël Kambanda, un fonctionnaire rwandais connu pour son extrémisme «Hey Carine, tu peux plaider la cause de ton tuteur légal, qui est en prison pour les crimes qu’il a commis sans tuer la mémoire de tes parents, Thomas et Fedens. Rusesabagina n’est PAS ton père. Thomas était le nom de ton père tué par les amis de Paul. »   

Ou encore celui de Tom Ndahiro qui, lui reprochant d’avoir accordé une interview à un opposant rwandais, va jusqu’à se permettre de lui retirer sa filiation « avec cette relation avec Thomas Nahimana alias « padiri », toi, Carine Kanimba a été reléguée à rien d’autre qu’une partisane du génocide ou une idéologue du génocide. Désolé, tu n’es désormais plus identifiée avec tes parents qui ont été victimes du génocide contre les tutsis. »

« Quand je lis ça, j’éprouve un sentiment de dégout, mais cela ne me décourage pas. J’étais au courant de l’instrumentalisation du génocide, mais ça n’avait jamais été utilisé contre moi. J’ignorais jusqu’au cela pouvait aller. Ce sont des fous sans aucun sens moral ». 

Malgré la violence de ces attaques, malgré le temps et l’énergie que son combat requiert, Carine ne semble pas prête à abandonner : « peu importe leurs menaces, peu importe leurs propos à mon égard, je n’arrêterai pas tant que mon père n’est pas de retour à la maison. Que ça prenne encore un mois, trois mois, un an, ou 10 ans, je ne lâcherai pas, car dans ma vie, j’ai eu le meilleur model de persévérance en la personne de mon père ».

Ruhumuza Mbonyumutwa
Jambonews.net

 


 

[1] Voir l’article « Retour sur l’attentat qui a fait basculer le Rwanda dans l’horreur » https://www.jambonews.net/actualites/20190406-retour-sur-lattentat-qui-a-fait-basculer-le-rwanda-dans-lhorreur/

[2] Ce dernier a été limogé de son poste en août 2020, après que des membres du régime aient réclamé sa tête en raison des sujets tabous qu’il osait publiquement aborder au Rwanda. Lire à ce sujet notre article « Aimable Karasira, face à l’injustice ». « https://www.jambonews.net/actualites/20200806-rwanda-aimable-karasira-face-a-linjustice/

[3] “Le Héros d’Hotel Rwanda pris au Piège de l’Homme Fort du pays », New York Times, 19 septembre 2020. 

[4] Ibid.

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