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Kizito Mihigo – « Embrasser la réconciliation », le livre posthume

Kizito Mihigo – « Embrasser la réconciliation », le livre posthume

« Embrasser la réconciliation – Pour vivre en paix et mourir heureux » est le titre du livre écrit par Kizito Mihigo en grande partie durant sa période d’emprisonnement mais aussi après sa libération.

La sortie de ce livre programmée pour ce vendredi 17 avril 2020, deux mois après l’assassinat de son auteur, est un événement extraordinaire, un témoignage direct de Kizito Mihigo pour permettre au monde de comprendre l’œuvre de sa vie.

C’est à partir de sa cellule de prison que Kizito Mihigo va commencer à faire enregistrer les différents récits de sa vie riche en rebondissements, et livrer ainsi jour après jour son parcours, ses prises de conscience, ses expériences exceptionnelles et son rêve pour le Rwanda.

La musique sacrée, une passion d’enfance

Kizito Mihigo nous fait découvrir la naissance de sa passion pour la musique sacrée dès l’âge de 9 ans, à Kibeho, entouré de sa mère, de ses sœurs et de son père, lequel partageait la même passion que lui pour la musique sacrée. Il nous narre comment cette passion grandira en lui de façon irrésistible et comment elle ne faiblira pas, même après les remarques judicieuses de sa mère sur les faibles chances de réussir sa vie à travers cet art au Rwanda. « Très soutenue par mes grandes sœurs, maman me demandait de lui expliquer quel intérêt ma musique apportait à la famille ». A cette question Kizito n’avait jamais donné de réponse.

Kizito perd son père dans le génocide perpétré contre les Tutsi. C’est une période sombre de l’histoire de Kizito. Le choc de ce monstrueux drame fera ensuite place à une colère envers ceux qui ont commis ces atrocités. La puissance et les conséquences de cette colère auraient pu être terribles, comme il en témoigne lui-même : « Au séminaire, je suis donc devenu trop occupé pour donner place à la haine et à mes envies de vengeance qui, à mon avis, pouvaient facilement devenir des projets ».

Une globalisation ethnique dangereuse

C’est également au séminaire que Kizito Mihigo a une première grande conscience de la problématique entre les Rwandais. Il vit pour la première fois ce phénomène lors d’un recrutement des étudiants pour la chorale qu’il avait fondée au séminaire : « Accueillir les jeunes Hutu de Kibeho dans ma chorale provoque déjà pas mal de critiques chez mes collègues Tutsi de l’école qui m’accusent d’oublier trop vite. Je n’aime pas ça ! Je me sens un peu bousculé mais je tiens compte de leurs critiques. »

Il voit déjà ce phénomène comme « une maladie générale dans la société rwandaise post-génocide, parmi les Rescapés, mais aussi et surtout parmi les Tutsi venant de l’extérieur : nous confondons les bourreaux, leurs descendants et leurs proches. Une sorte de haine générale qui englobe et jette tous les Hutu dans le même panier. Une maladie à mon avis dangereuse, qui est sinon identique mais en tout cas comparable à la globalisation ethnique qui a caractérisé les Génocidaires.»

Cette prise de conscience va continuer à se vérifier par la suite dans les différentes expériences de la vie de Kizito MIHIGO aussi bien au Rwanda qu’en Europe, où il va passer quelques années de sa vie à parfaire son art musical.

Divorce du régime

Kizito Mihigo continue et précise que son éloignement du pouvoir du FPR ne date pas d’hier : « À l’opposé de ce que pensent beaucoup de gens, mon divorce avec le régime politique du FPR n’a pas été consommé subitement. Pas du tout ! Pour ceux qui pouvaient suivre de près mes relations avec le pouvoir, cette rupture était tout-à-fait prévisible. »

Voici un des nombreux faits préliminaires qui ont précédé le divorce officiel affiché lors de son emprisonnement en 2014. « Je ne suis membre d’aucun parti politique, mais depuis que je suis retourné au Rwanda en 2011, les membres du FPR n’ont cessé de me faire comprendre que je n’ai pas le choix, que je dois être obligatoirement membre du parti au pouvoir. En plus, ils ne prennent pas le temps de m’expliquer ni la vision politique du parti, ni pourquoi je dois absolument être membre du FPR. Quand je demande qu’on m’explique en profondeur les programmes politiques du FPR, on me répond toujours que je comprends tout, que mes activités prouvent que je comprends le FPR. »

Ces tentatives répétées d’endoctrinement n’étaient pas du goût du jeune artiste, elles le poussaient au contraire à se poser de plus en plus de questions.

Autre point de dissension sont « les campagnes gouvernementales organisées par la Commission Nationale pour l’Unité et la Réconciliation (CNUR/NURC) et d’autres institutions, qui sont accueillies par la population comme la propagande d’un pouvoir politique qui souhaite que les Hutu et les Tutsi cohabitent pacifiquement dans le pays. Je trouve ça bien, mais très superficiel. Pour moi, la cohabitation pacifique n’est pas la réconciliation. La tolérance n’est pas le pardon et la sécurité n’est pas la paix. »

A la création de la fondation Kizito Mihigo pour la Paix, Kizito veut œuvrer à la véritable réconciliation, à travers le dialogue franc, l’écoute, la compassion et le pardon.

La cohabitation et la tolérance qui existent au Rwanda cachent des discordes que Kizito n’hésite pas à qualifier de bombe à retardement : « Le problème est là, de plus en plus grand, sauf que le moment et les circonstances ne sont pas encore arrivés pour que cela se manifeste ».

Le refus de rester dans les rangs

En multipliant les messages d’humanité, de paix et réconciliation, Kizito Mihigo finit par exacerber la colère du pouvoir de Kigali. C’est ainsi qu’en avril 2014, il est arrêté et forcé de plaider coupable pour des crimes qu’il n’avait pas commis.

C’est également durant son arrestation et son incarcération que son positionnement envers le régime devint très clair : « Ce n’est pas du tout mauvais de combattre une dictature. Au contraire, sont coupables ceux qui ne veulent ni dénoncer ni lutter contre la dictature dans leur pays ».

Et d’ajouter : « je reste convaincu que, même contre une dictature sanguinaire, les combats et les luttes doivent être menés de manière non-violente. Je n’ai pas pris d’arme et je ne l’ai jamais envisagé. Alors si j’ai combattu le régime avec mes critiques sur WhatsApp, et que c‘est un crime dans la République Kagaméenne du Rwanda, alors je vais plaider coupable avec bonheur et fierté. »

C’est ainsi qu’il décida « d’adopter l’attitude la plus humble possible, de ne jamais me défendre au cours du procès et démontrer petit à petit, de manière souterraine, qu’il s’agit d’un procès politique, qu’il n’existe pas de charge contre moi, mais que la loi et les juges n’y peuvent rien. »

La vie d’un artiste repose sur sa notoriété et beaucoup d’entre eux donneraient tout pour la sauvegarder, pour Kizito Mihigo la mission de sa vie va au-delà de ces considérations matérielles : « Je me dis aussi que défendre mon honneur n’est pas la priorité du moment. J’ai la certitude que le message de mes chansons, mon engagement et mes célèbres activités antérieures pour la paix et la réconciliation me défendront. Le plus important pour moi est que l’injustice commise par le régime et les techniques utilisées par le pouvoir du FPR pour diaboliser les opposants soient révélées. Le plus important, ce n’est pas que je sois considéré comme un héros de la réconciliation. Je n’en ai pas besoin. Pour moi, ma vie doit simplement permettre aux Rwandais de réfléchir à ce que doit être le rôle de chacun dans la construction de la paix, et pour une vraie et profonde réconciliation. »

Robert MUGABOWINDEKWE
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